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Procédure devant la JUB : quel(s) traitement(s) pour les demandes de brevet ?
La période était intense ces derniers temps, pour les Conseils en Propriété Industrielle, représentants inscrits devant la Juridiction Unifiée des Brevets (« JUB »), totalement débordés par les inscriptions de dérogations à la compétence exclusive de la Juridiction Unifiée du Brevet, appelées couramment « opt-out ».
Cette possibilité d’opt-out est non seulement offerte aux titulaires d’un brevet européen délivré mais également d’une demande de brevet européen (article 83 point 3 de l’Accord JUB, ou « AJUB » : « 3. À moins qu'une action n'ait déjà été engagée devant la Juridiction, un titulaire ou un demandeur de brevet européen délivré ou demandé avant la fin de la période transitoire conformément au paragraphe 1 et, le cas échéant, au paragraphe 5, (…), a la possibilité de décider de déroger à la compétence exclusive de la Juridiction ».
Mais alors, si les « opt-out » peuvent concerner des demandes de brevet, ces dernières peuvent-elles faire l’objet d’une demande en nullité devant la JUB ? Et le titulaire d’une demande de brevet peut-il agir en contrefaçon ? Peut-on agir en non-contrefaçon à l’encontre d’une demande ?
La réponse est négative, pour les raisons suivantes :
L’article 3 de l’AJUB prévoit, certes, que :
Le présent accord s'applique à :
a) tout brevet européen à effet unitaire ;
b) tout certificat complémentaire de protection délivré pour un produit protégé par un brevet ;
c) tout brevet européen qui n'est pas encore éteint à la date d'entrée en vigueur du présent accord ou qui a été délivré après cette date, sans préjudice de l'article 83; et
d) toute demande de brevet européen en instance à la date d'entrée en vigueur du présent accord ou qui a été introduite après cette date, sans préjudice de l'article 83.
Et on a vu que, selon cet article 83, une demande de brevet peut faire l’objet d’un « opt-out ».
Néanmoins, l’article 2 de l’AJUB donne les définitions suivantes :
Aux fins du présent accord, on entend par :
a) « Juridiction», la juridiction unifiée du brevet créée par le présent accord;
b) « État membre», un État membre de l'Union européenne;
c) « État membre contractant», un État membre partie au présent accord;
d) «CBE», la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, y compris toute modification ultérieure;
e) «brevet européen», un brevet délivré conformément aux dispositions de la CBE auquel n'est pas conféré d'effet unitaire en vertu du règlement (UE) no 1257/2012;
f) «brevet européen à effet unitaire», un brevet européen délivré conformément aux dispositions de la CBE auquel est conféré un effet unitaire en vertu du règlement (UE) no 1257/2012;
g) «brevet», un brevet européen et/ou un brevet européen à effet unitaire;
(…)
On peut logiquement en déduire que lorsque l’AJUB, et le Règlement de Procédure (ou « RdP ») font état de « brevet », cela signifie « brevet européen délivré et/ ou brevet européen à effet unitaire délivré », mais cela exclut les demandes. Seules les dispositions de l’Accord visant expressément les demandes de brevet s’appliquent à ces dernières, comme le fait l’article 83 précité.
S’agissant de la compétence exclusive de la JUB, l’article 32 de l’AJUB prévoit :
- La Juridiction a une compétence exclusive pour :
a) les actions en contrefaçon ou en menace de contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection et les défenses y afférentes, y compris les demandes reconventionnelles concernant les licences ;
b) les actions en constatation de non-contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection ;
c) les actions visant à obtenir des mesures provisoires et conservatoires et des injonctions ;
d) les actions en nullité de brevets et de certificats complémentaires de protection ;
e) les demandes reconventionnelles en nullité de brevets et de certificats complémentaires de protection ;
f) les actions en dommages-intérêts ou en réparation découlant de la protection provisoire conférée par une demande de brevet européen publiée ;
(…)
Il ne fait dès lors pas de doute que les actions visées aux alinéas a, b, d et e ne peuvent pas s’exercer sur le fondement ou à l’encontre d’une demande de brevet, même publiée.
S’agissant des dommages-intérêts, au contraire, l’alinéa f prévoit une réparation de l’atteinte portée à une demande de brevet publiée.
Le RdP précise quant à lui en sa règle 125 intitulée « Procédure séparée pour déterminer le montant des dommages-intérêts ordonnés » :
« La détermination du montant des dommages-intérêts alloués à la partie ayant obtenu gain de cause peut faire l’objet d’une procédure séparée. Elle inclut, le cas échéant, la détermination du montant de l’indemnisation à octroyer en vertu de la protection provisoire conférée par une demande de brevet européen publiée [article 32, § 1, point f) de l’Accord, article 67 de la CBE] et de l’indemnisation à payer conformément aux règles 118.1, 198.2, 213.2 et 354.2. L’expression « dommages-intérêts », employée au chapitre 4, est réputée inclure cette indemnisation et des intérêts au taux et pour la période que la Juridiction décide.
L’alinéa f de l’article 32 de l’AJUB et la règle 125 du RdP font ainsi référence à la protection provisoire prévue par l’article 67 de la Convention sur le Brevet Européen (« CBE ») selon laquelle :
(1) (…)
(2) « Tout État contractant peut prévoir que la demande de brevet européen n'assure pas la protection prévue à l'article 64. Toutefois, la protection attachée à la publication de la demande de brevet européen ne peut être inférieure à celle que la législation de l'État considéré attache à la publication obligatoire des demandes de brevet national non examinées. En tout état de cause, chaque État contractant doit au moins prévoir qu'à partir de la publication de la demande de brevet européen, le demandeur peut exiger une indemnité raisonnable, fixée suivant les circonstances, de toute personne ayant exploité, dans cet État contractant, l'invention objet de la demande de brevet européen, dans des conditions qui, selon le droit national, mettraient en jeu sa responsabilité s'il s'agissait d'une contrefaçon d'un brevet national.
(…)
Cela signifie donc que lorsque l’article 32, qui définit la compétence exclusive de la JUB, fait référence aux demandes de brevets européens publiées, c’est uniquement pour renvoyer à la possibilité offerte par la CBE d’obtenir une réparation appelée « indemnité raisonnable » pour la période qui se situe entre la publication de la demande et celle de la délivrance du brevet.
Enfin, l’article 33 paragraphe 8 énonce :
8. Les actions visées à l'article 32, paragraphe 1, points d) et e), peuvent être engagées sans que le requérant ait à former opposition devant l'Office européen des brevets.
On peut en déduire les règles suivantes :
- Le brevet délivré mais encore susceptible d’opposition peut faire l’objet d’une demande de nullité devant la JUB (et pas seulement d’une opposition devant l’OEB).
- Les demandes de brevet, même publiées, ne peuvent pas faire l’objet d’une demande de nullité devant la JUB (article 32 paragraphe 1 alinéas d et e),
- Les demandes de brevet, même publiées, ne peuvent être invoquées au soutien d’une action en contrefaçon et il ne peut non plus être formé d’action en déclaration de non-contrefaçon à leur encontre (article 32 paragraphe 1 alinéas a et b),
- Au cours d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré devant la JUB, laquelle ne peut être formée qu’après la délivrance du brevet :
- des dommages-intérêts peuvent être réclamés pour la période postérieure à la délivrance du brevet,
- et une indemnisation, à savoir l’indemnité équitable prévue à l’article 67 de la CBE, peut-être réclamée pour la période antérieure à la délivrance et postérieure à la publication de la demande de brevet.
Rappelons simplement qu’en France, la règle est différente, puisqu’une action en contrefaçon peut être formée sur le fondement d’une demande de brevet français publiée, le Tribunal prononçant alors un sursis à statuer de droit jusqu’à la délivrance du brevet (article L615-4 CPI).
Il en est de même pour une action en contrefaçon formée sur le fondement de la partie française d’une demande de brevet européenne publiée, sous condition de la publication des revendications en langue française ou de leur notification au contrefacteur présumé (article L 614-9 du CPI).
Pour toute procédure devant le JUB, il faut donc oublier nos réflexes nationaux, et se plonger dans les textes, pour conseiller au mieux nos clients.