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Algorithmes : une équation juridique à plusieurs inconnues
Les technologies algorithmiques constituent une valeur économique grandissante de notre société.
Portées aux nues lorsqu’elles sont synonymes de progrès technologiques, elles sont également régulièrement décriées en raison de l’influence grandissante qu’elles peuvent avoir sur la société, notamment aux plans de la transparence et de l’éthique (la « gouvernance des algorithmes »).
S’il est difficile de prévoir l’évolution de ces technologies tant leur essor est rapide, il semble certain que le futur appartient aux algorithmes qui sont omniprésents dans les nouvelles technologies (intelligence artificielle, machine learning, véhicules autonomes, etc.).
Pour les entreprises concernées, il est essentiel de réfléchir à la meilleure manière de protéger et valoriser leurs algorithmes. Cette question est particulièrement complexe tant il est délicat d’appréhender les algorithmes d’un point de vue juridique.
Un algorithme, quésaco ?
Au plan sémantique, l’algorithme est un « ensemble de règles opératoires dont l'application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d'un nombre fini d'opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur »1 .
Autrement dit, un algorithme informatique est composé d’une suite d’instructions permettant d’indiquer à un ordinateur ce qu’il doit faire en vue d’exécuter une tâche. Les ordinateurs ne comprenant pas le langage humain, un algorithme informatique doit ainsi être traduit en code écrit dans un langage de programmation.
Quelques exemples d’algorithmes
Leurs utilisations sont très diverses : orienter les recherches d’emploi, comparer le prix des vols d’avions, détecter des tendances, proposer du contenu à des utilisateurs en fonction de leur comportement, déterminer des propositions d’admission aux candidats de formations de l’enseignement supérieur en fonction d’un nombre de places à pourvoir (ParcourSup2), etc.
L’algorithme de classement « PageRank » de Google est certainement le plus utilisé au monde. Créé par Larry Page, il est utilisé pour déterminer l’ordre des résultats affichés parmi les informations indexées sur le moteur de recherche.
La « Timeline » de Facebook. Un ensemble d’algorithmes sélectionne le contenu qui s’affiche sur le fil d’actualité des utilisateurs du célèbre réseau social. Différents paramètres entrent en jeu tels que les goûts personnels de l’utilisateur et ses réactions et interaction précédentes.
Les algorithmes de « Machine Learning » permettent « d’apprendre » à partir de données au lieu de recevoir des instructions spécifiques sur la tâche à effectuer. Ils sont utilisés principalement pour effectuer des prédictions, analyser des données ou créer des moteurs de recommandations.
Les algorithmes de « chiffrement de données » permettent de protéger des données en cas d’intrusion sur un système. Des données sont reçues par l’algorithme (input) qui les convertit dans un autre format (output), par exemple des symboles aléatoires ou une image.
La problématique juridique soulevée par les algorithmes
Aucun texte ne règlemente spécifiquement « l’algorithme » en tant que tel.
Sans protection sui generis, les praticiens ont donc exploré les outils à leur disposition et plus particulièrement, le droit d’auteur, des brevets, du savoir-faire et des contrats.
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Algorithmes et droit d'auteur - une voie peu ouverte
- Porte fermée : exclusion des algorithmes en tant que tel
Bien que le droit d’auteur protège toute œuvre de l’esprit originale, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination3 , les algorithmes sont généralement classés dans la rubrique des « idées de libre parcours » ou encore des « formules mathématiques ».
La CNIL considère ainsi qu’un algorithme est « la description d'une suite d'étapes permettant d'obtenir un résultat à partir d'éléments fournis en entrée »4. Pris en tant que tels, les algorithmes sont donc considérés comme de simples idées non protégeables par le droit d’auteur.
Ce qui précède a été expressément affirmé dans les directives 91/250/CEE du 14 mai 1991 et 2009/24 du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, lesquelles prévoient qu’ « en accord avec ce principe du droit d’auteur, les idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne sont pas protégés en vertu de la présente directive ».
Selon la CJUE, « admettre que les fonctionnalités d’un programme d’ordinateur puissent être protégées par le droit d’auteur reviendrait à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment du progrès technique et du développement industriel »5.
Cette analyse est largement suivie par les juridictions françaises pour lesquelles un « algorithme est défini comme une succession d’opérations qui ne traduit qu’un énoncé logique de fonctionnalités, dénué de toutes les spécifications fonctionnelles du produit recherché », et doit en conséquence être « exclu du bénéfice de la protection par le droit d’auteur »6.
Ainsi, du fait de leur nature, les algorithmes ne semblent pas pouvoir prétendre à la protection conférée par le droit d’auteur.
De surcroît, au regard du rôle croissant des robots dans le processus créatif des algorithmes, se pose la question de la qualification d’auteur (le droit d’auteur français ne conférant de droits qu’aux personnes physiques7, à l’instar de la pratique du Copyright Office américain).
Certains appellent à une (r)évolution du droit d’auteur sur ce point. En effet, le droit d’auteur offre la flexibilité idéale pour engager une démarche plus protectrice des algorithmes (notamment en tant qu’ « idées à forte valeur économique ») qui font partie des créations immatérielles les plus valorisées de notre temps8.
- Fenêtre entrebâillée : protection indirecte par le logiciel
La formalisation d’un algorithme dans les lignes de code d’un logiciel est protégeable sous réserve de l’originalité dudit logiciel.
Cette protection est ainsi basée sur la forme d’expression (le logiciel) et non sur l’algorithme en tant que tel. Elle atteint ainsi rapidement ses limites puisqu’il sera possible de contourner la protection en formalisant l’algorithme de manière différente dans un autre logiciel. En d’autres termes, la reprise de l’algorithme sans le code source ne permet pas d’agir en contrefaçon.
Il s’agit donc d’une protection indirecte assez superficielle puisque c’est le support de l’algorithme qui peut être protégé et non l’algorithme lui-même.
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La brevetabilité indirecte de l’algorithme
Tout comme en matière de droit d’auteur, la protection par brevet des algorithmes pris en tant que tels est écartée. En effet, les « théories scientifiques et les méthodes mathématiques » ainsi que les « principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques » ou encore les « programmes d’ordinateurs » sont expressément exclus de la définition d’une invention et, partant, de la protection par brevet9.
L’algorithme en tant que méthode mathématique (destinée à traiter de l’information), même intégrée à un code exécutable par un ordinateur, ne sera donc pas protégeable en tant que tel par le droit des brevets.
L’éventuelle protection indirecte d’un algorithme par le droit des brevets sera ainsi réduite à son incorporation dans un programme ou un logiciel, lui-même intégré dans une invention et apportant une contribution au caractère technique de ladite invention dans son ensemble.
En outre, le déposant devra prendre en considération le fait que la demande de brevet implique de rendre publique son invention, ce qui peut être inadapté pour une entreprise qui a investi dans le développement d’un algorithme (et préfère le garder secret).
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La protection du savoir-faire par le secret des affaires (et les contrats)
L’algorithme fait partie du savoir-faire d’une entreprise, en tant qu’actif immatériel. A ce titre, il est protégé par le secret des affaires.
La notion de savoir-faire couvre l’algorithme en tant que tel, mais aussi toutes les informations associées à sa création.
Pour bénéficier de la protection du secret des affaires, il convient de satisfaire aux critères de l’article L.151-1 du Code de commerce :
- L’information ne doit pas être connue ou être aisément accessible pour les personnes du même secteur d’activité ;
- L’information doit revêtir une valeur commerciale effective ou potentielle ;
- L’information doit faire l’objet de mesures de protection raisonnables pour en conserver le secret.
La troisième condition nécessite des mesures spécifiques pour les entreprises.
Ces dernières pourront notamment prévoir un moyen de traçabilité et de conservation des preuves des mesures de protection, mettre en place des procédures de cloisonnement des circuits d’information au sein de l’entreprise (gestion des accès des salariés aux systèmes d’information), créer des leurres pour faciliter la preuve de la fraude, mettre en place une charte informatique, ou encore nommer un référent en charge des questions relatives au secret des affaires (à l’instar du célèbre « DPO »).
Vis-à-vis des partenaires et des tiers, l’outil contractuel doit être systématiquement étudié avec la formalisation d’accords de confidentialité, de clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation de personnel, de clauses d’audit, etc.
Pour autant, le secret des affaires ne protégera pas une entreprise d’une « redécouverte » indépendante, ni de la rétro-ingénierie. Ainsi, pour accroitre l’efficacité de la protection offerte par le secret des affaires, il est nécessaire d’entourer l’algorithme de mesures d’inaccessibilité (via notamment l’adoption de biais empêchant ou compliquant sa compréhension technique par les tiers).
L’état actuel du droit fait qu’il n’existe pas de méthode parfaite pour protéger les algorithmes.
En attendant une évolution législative sur ce point, il est impératif pour les entreprises concernées de mettre en place des mesures de protection techniques, organisationnelles et contractuelles.
Plasseraud IP accompagne les entreprises qui souhaitent protéger, valoriser et défendre leurs innovations, notamment par le bais de droits de propriété intellectuelle et de contrats. N’hésitez pas à nous contacter pour profiter de notre vision globale des droits de PI.
1 Définition du dictionnaire Larousse
2 https://services.dgesip.fr/T454/S764/algorithme_national_de_parcoursup
3 Article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle
4 https://www.cnil.fr/fr/definition/algorithme
5 CJUE, 2 mai 2012, affaire C-406-10, SAS Institute Inc c/ World Programming Ltd
6 CA Caen, Chambre des appels correctionnels, 18 mars 2015, affaire Skype Ltd et Skype Software SARL, n°
7 Article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle
8 Alain Bensoussan, « Faut-il protéger les algorithmes par le droit d’auteur ? »
9 Article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle