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Outre-mer : Le prétendu exotisme du droit des marques
La protection d’une marque peut être obtenue selon trois voies : la voie nationale, la voie internationale pour les pays membres de l’Arrangement ou du protocole de Madrid, et la voie régionale pour le territoire de l’Union européenne.
Quelle est la véritable portée territoriale de ces dépôts ?
Bien que couvertes par des systèmes nationaux, européens ou internationaux, ces marques peuvent trouver différentes applications selon les territoires d’Outre-mer en cause.
La France d’Outre-mer se distingue de la France métropolitaine. Son isolement géographique est à l’origine d’hétérogénéités linguistiques, sociales, économiques et politiques. Dès lors, le champ de protection du droit de marque s’en trouve inévitablement impacté.
Cette question revêt une importance majeure dont il convient de préciser les contours.
I- LA PORTEE TERRITORIALE DE LA MARQUE FRANCAISE SUR LES TERRITOIRES D’OUTRE-MER
La France est constituée d’îles et territoires d’Outre-mer : les Départements et Territoire d’Outre-mer (DROM) et les Collectivités d’Outre-mer (COM).
1) Les Départements et Territoire d’Outre-mer (DROM)
Les DROM comprennent la Guadeloupe, la Guyane française, la Martinique, Mayotte et la Réunion. Il s’agit de départements français. Par conséquent, les marques françaises y sont directement protégées.
2) Les collectivités d’Outre-mer (COM)
Elles comprennent Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises ; encore considérées comme un territoire d'outre-mer.
Une marque française est automatiquement protégée dans les COM, à l’exception de la Polynésie française qui fait l’objet d’un régime de protection particulier (voir ci-après).
En effet, le Code de la propriété industrielle consacre à son Livre VIII l'application des dispositions législatives dans les îles Wallis-et-Futuna, dans les terres australes et antarctiques françaises, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. Selon l’article L. 811-1, "les dispositions du présent code sont applicables dans les îles Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie". De plus, l'article L. 811-4 est spécifiquement consacré à l'action en contrefaçon sur ces territoires.
Il convient ainsi d’observer que les territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin ne sont pas expressément cités par l’article L. 811-4.
3) Le cas particulier de la Polynésie française
La particularité de la Polynésie française par rapport aux autres COM vient du fait qu’elle s'est dotée d'une loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 lui portant statut d’autonomie. En application de cette loi, les marques déposées auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) ne produisent plus automatiquement d’effets sur le territoire de la Polynésie française.
Malgré cette loi, aucune autre disposition n'avait été prise jusqu'en mai 2013 et une incertitude pesait sur le périmètre de protection des marques françaises.
Par la suite, la loi du pays n° 2013-14 du 6 mai 2013 (article LP 138) et l’arrêté n°1002/CM du 22 juillet 2013 ont mis en place un dispositif spécifique de reconnaissance des marques distinguant :
- Les marques déposées à l’INPI avant le 3 mars 2004 et encore en vigueur au 1er septembre 2013 : ces marques sont automatiquement reconnues par la Polynésie française. Elles produisent ainsi les mêmes effets qu’en France métropolitaine, et cela sans formalité particulière.
- Les marques déposées, renouvelées ou prorogées à l'INPI entre le 3 mars 2004 et le 31 janvier 2014 : ces marques ne bénéficient plus d’une protection automatique en Polynésie française. Ainsi, pour que ces marques françaises soient protégées en Polynésie française, il est désormais nécessaire d'en demander la reconnaissance auprès des autorités locales. Pour cela, il convient de déposer un formulaire auprès de la Direction générale des affaires économiques (DGAE) et d'acquitter le paiement d’une redevance.
- Les marques françaises déposées à l'NIPI à compter du 1er février 2014 : elles ne peuvent bénéficier d'une protection en Polynésie française que si elles font l'objet d’une revendication d’extension, et moyennant le paiement d’une redevance au moment du dépôt.
II- LA PORTEE TERRITORIALE DE LA MARQUE DE L’UNION EUROPEENNE SUR LES TERRITOIRES D'OUTRE-MER
L’enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère au déposant une protection sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Toutefois, il convient de connaître la portée géographique de ce type de marque sur les territoires d’Outre-mer.
Le Traité sur l’Union européenne (Maastricht, 7 février 1992) distingue deux catégories de territoires d’Outre-mer.
1) Les régions ultrapériphériques (RUP)
En France, les territoires concernés sont la Guadeloupe, la Guyane Française, la Martinique, Saint-Martin, Mayotte (depuis le 1er janvier 2014) et la Réunion.
Les RUP font partie intégrante de l’UE. Dès lors, elles sont soumises à sa règlementation et la marque de l'Union européenne produit directement ses effets sur ces territoires. En effet, l’article 299.2 du Traité sur l’Union européenne dispose que « les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d’outre-mer ». Dès lors, dans la mesure où les départements français d’Outre-Mer correspondent aux régions ultrapériphériques européennes, ces territoires font effectivement l’objet d’une protection relative au droit de marque.
2) Les pays et territoires d’Outre-mer (PTOM)
a) Le principe de l'absence de protection automatique
Certains territoires sont rattachés aux Etats membres sans être toutefois considérés comme appartenant à l'Union européenne. Les PTOM français comprennent les îles Wallis-et-Futuna, la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que les terres australes et antarctiques françaises.
Considérés comme des pays tiers au regard du droit européen, ces territoires sont "associés" à l’Union Européenne sans toutefois être soumis à sa règlementation.
Les marques de l'Union européenne ne devraient donc théoriquement pas être automatiquement protégées dans les PTOM.
Ainsi, une incertitude persiste quant au statut des marques de l'Union européenne sur ces territoires (le règlement (CE) No 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 se contentant de préciser que la marque communautaire produit les mêmes effets « dans l’ensemble de la Communauté »).
b) La possibilité de choix de l'Etat membre
La marque de l'Union européenne peut être tout de même protégée sur ces territoires sous réserve d'une référence expresse par l'Etat membre auquel ils se rattachent.
L’article 198 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Rome, 25 mars 1957) dispose à leur propos que « les États membres conviennent d'associer à la Communauté les pays et territoires non européens entretenant avec le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni des relations particulières ». Par conséquent, l’application de la marque de l'Union européenne à ces territoires relève du pouvoir discrétionnaire de ces Etats membres qui sont libres de leur conférer les effets de la marque de l'Union européenne alors même qu’ils n’appartiennent pas officiellement à l’Union européenne.
En France, l’article L. 811-4 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne la contrefaçon des marques de l’Union européenne sur plusieurs territoires d’Outre-mer expressément listés : Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et ses dépendances (collectivité d'Outre-mer à "statut particulier") ainsi que les terres australes et antarctiques françaises. En revanche, sont exclus Saint-Barthélemy (COM française passée de RUP à PTOM au 1er janvier 2012) ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon.
Si la Polynésie française n’est pas désignée dans cette liste, elle a repris dans son corpus législatif l’article L. 811-4. Ainsi, les marques de l'Union européenne sont protégées contre les actes de contrefaçon sur ce territoire par le biais des articles L.717-1, L.717-4 et L.717-7 du code polynésien. [1] Les marques de l'Union européenne ne sont donc pas concernées par la procédure de reconnaissance. Ainsi, il semble aujourd’hui établi que les marques de l’Union européenne font l’objet d’une protection sur le territoire de la Polynésie française sans formalité complémentaire [2].
3) Les autres territoires
Certains territoires d'Outre-mer ne font ni partie de la catégorie des RUP ni de celles des PTOM. Il s'agit de territoires qui, bien que rattachés à des Etats membres de l'Union européenne, ne sont pas traités par les textes de droit européen. Par conséquent, leur sort est déterminé par le droit national de chaque Etat membre.
Parmi ces territoires, sont concernés par la possibilité de protection de la marque de l'Union européenne, les Baléares, Ceuta, Melilla (loi espagnole), les îles de Clipperton et les îles Aland (loi finlandaise), Jersey (Royaume-Uni) ainsi que Chypre (en raison de son statut d'état membre de l'Union européenne depuis le 1er mai 2004).
III – LA PORTEE TERRITORIALE DES MARQUES INTERNATIONALES DESIGNANT LA FRANCE ET L’UNION EUROPEENNE
Selon l'avis n° 18/2016 de l’INPI adressé à l’OMPI en avril 2016 relatif à l'Arrangement et au Protocole de Madrid concernant l'enregistrement international des marques, "les marques internationales désignant la France (via le Protocole de Madrid) s'étendent à: Guadeloupe, Guyane française, Martinique, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, La Réunion, Saint-Barthélemy, Saint-Martin (partie française), Saint-Pierre-et- Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises ainsi que Wallis-et-Futuna".
En outre, il est précisé que "Les marques internationales désignant l'Union européenne (via le Protocole de Madrid) s'étendent à: France, Guadeloupe, Guyane française, Martinique, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, La Réunion, Saint-Martin (partie française), Saint-Pierre-et- Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises ainsi que Wallis-et-Futuna. Cependant, ces marques ne couvrent plus Saint-Barthélemy depuis le 1er janvier 2012."
Par conséquent, les marques internationales désignant la France ou l'Union européenne sont protégées sur les territoires d'Outre-mer (à l’exception de Saint-Barthélemy s’agissant des marques internationales désignant l'Union européenne).
A noter : les marques internationales n’étant pas concernées par la procédure de reconnaissance, les titres internationaux désignant la France font automatiquement l’objet d’une protection sur le territoire de la Polynésie française sans formalité complémentaire.
[1] Article 7 de l’ordonnance n°2001-670 du 25 juillet 2001 portant adaptation au droit communautaire du code de la propriété intellectuelle et du code des postes et télécommunications, ordonnance publiée au Journal Officiel de la Polynésie française du 23 août 2001
[2] Alain Berthet & Nicolas Moreau (Protection des marques françaises en Polynésie française, 31 janvier 2014, Le Monde du Droit)