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Le Tour de France, une renommée à géométrie variable
Le Tour de France est, sans discussion possible, la course cycliste la plus connue au monde. Elle l’est par son importance dans le calendrier cycliste et donc la qualité des coureurs qui y participent, mais également pas le nombre de spectateurs et de téléspectateurs qui la suivent, ainsi que par sa couverture médiatique.
Pourtant, la renommée dont elle bénéficie ne lui profite qu’imparfaitement dans la défense des marques déposées pour la protéger.
Le 12 juin 2024 (aff. T604/22), le Tribunal de l’Union Européenne a ainsi confirmé une décision de la Chambre de Recours de l’EUIPO, laquelle avait rejeté une opposition formée à l’encontre de la marque , déposée pour des produits et services des classes 25, 28 et 41, sur la base de différentes marques, notamment TOUR DE FRANCE, LE TOUR DE FRANCE et
.
Cette opposition était fondée sur le risque de confusion entre les marques (article 8-1b du RMUE) mais aussi sur l’atteinte à la renommée de ces marques (article 8-5 du RMUE), la renommée ayant été invoquée et attestée pour des services d’organisation de compétitions sportives.
L’EUIPO a écarté tout risque de confusion entre les marques, en retenant le caractère distinctif très faible, voire inexistant de l’expression commune « TOUR DE », laquelle ne peut donc présenter de caractère dominant dans les marques en cause, qui présentent par ailleurs des différences visuelles, phonétiques et intellectuelles.
Il a également considéré que l’enregistrement de la marque ne pouvait porter atteinte à la renommée des marques invoquées. La Chambre a, à cet égard, notamment relevé que si l’opposant avait pu établir la renommée des marques invoquées, il n’avait pas démontré un degré élevé de renommée, ce qui est confirmé par le Tribunal. Ce dernier a également jugé que les marques en cause n’étaient pas suffisamment proches pour que l’atteinte à la renommée des marques invoquées soit reconnue. Enfin, il a été retenu que l’opposant n’avaient pas démontré en quoi le déposant de la marque contesté aurait pu tirer profit de la renommée des marques invoquées pour d’autres produits et services que ceux directement relatifs aux services d’organisation de compétitions sportives. La Chambre de recours et le Tribunal ont considéré à cet égard que la renommée n’était attestée en classe 41 que pour les services d’ « organisation de compétitions sportives », et non pas pour les services de divertissement visés au dépôt (il faut dire que l’opposant avait limité ses prétentions au regard de l’article 8-5 aux seuls services d’ « organisation de compétitions sportives »).
Cet arrêt nous rappelle que la renommée d’une marque n’est pas un fait notoire, et qu’elle doit être prouvée à chaque action, y compris pour les marques les plus connues, même celles pouvant être considérées comme faisant partie de l’inconscient collectif. La démonstration de l’existence d’un niveau minimum de similitude entre les signes, et du bénéfice que pourrait tirer le titulaire de la marque contestée de la renommée des droits antérieurs est également exigée. En d’autres termes, devant les instances de l’Union Européenne, il ne suffit pas d’affirmer, il faut tout démontrer, même l’évidence.
Le Tribunal fait toutefois une interprétation assez restrictive de la protection devant être accordée aux services d’ « organisation de compétitions sportives », destinés à un public restreint de sportifs, en considérant qu’ils ne présentent pas de liens directs avec des services de divertissement, destinés au public le plus large. Qui peut pourtant considérer que ces services ne sont pas liés ? Depuis l’époque romaine, assister aux épreuves sportives est considéré comme un divertissement. A l’époque les spectateurs assistaient à des courses de char dans des hippodromes, aujourd’hui à des matches de football dans des stades ou à des courses de vélo le long des routes de France ou d’ailleurs. Le public de ces manifestations n’est pas un public limité, restreint aux pratiquants d’un sport donné, il s’agit du public le plus large, qui ne cherche pas à pratiquer un sport, mais à se divertir en assistant à un match, à une course, en encourageant ses sportifs préférés.
La Cour de cassation, dans un arrêt récent (Chambre commerciale financière et économique, pourvoi n° 23-18.728, 19 mars 2025), relatif à une action en nullité formée à l’encontre de la marque , sur la base de l’atteinte portée à la marque TOUR DE FRANCE a adopté une position inverse à celle du Tribunal de l’Union Européenne.
Dans cette décision, la Cour de cassation relève que certaines marques ont acquis une renommée dont l’impact va au-delà du public concerné par les produits ou services pour lesquelles ces marques ont été enregistrées.
Alors que la Cour d’Appel envisageait la renommée comme nécessairement cantonnée au public concerné -en l’espèce les amateurs de vélo, la Cour de cassation a censuré cette position pour ne pas avoir tiré les conséquences légales des éléments de renommée constatés. Ces éléments de preuve démontraient une renommée « d'une intensité si exceptionnelle qu'elle est connue de la totalité du public français ».
Indirectement, la Cour reproche à la Cour d’Appel de ne pas avoir retenu de risque de confusion entre les marques contestées, en dépit de la renommée démontrée par le requérant.
Il faudra bien sûr attendre l’arrêt de renvoi pour connaître l’issue de la course, mais cet arrêt constitue une évolution jurisprudentielle pour le Tour de France, qui voit sa renommée reconnue à sa juste valeur par la plus haute juridiction française.