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La pratique de l’OEB concernant l’exigence de « crédibilité » d’une solution technique alléguée pour des revendications de médicaments (petites molécules)
Bien comprendre la pratique de l’OEB vis-à-vis de l’exigence de « crédibilité » permet de répondre aux premières questions posées par les inventeurs au Conseil:
Quelles données expérimentales doit-on inclure dans la description d’une demande de brevet pour soutenir la brevetabilité de mon invention ?
A quel moment doit-on déposer ?
Les récentes décisions T0488/16 et T 0950/13 de l’OEB sur les petites molécules et leurs applications thérapeutiques font le point sur la pratique actuelle de l’OEB sur cette question, en particulier dans le domaine de la pharmacie.
1- Fondement de l’exigence de « crédibilité » pour les inventions en chimie/biologie
Le critère de « crédibilité » ne trouve pas de fondement juridique explicite dans la Convention sur le Brevet Européen. Il est cependant évalué en tant que tel par les examinateurs de l’OEB, en lien avec l’exigence de suffisance de description (Article 83 CBE), l’exigence de fondement d’une revendication sur la description (Article 84 CBE) ou l’activité inventive (Article 56 CBE), principalement pour les inventions en chimie/biologie.
La décision T939/92 dite « Agrevo » relie l’appréciation de l’activité inventive avec l’évaluation de la « plausibilité » de la résolution du problème technique au regard des données expérimentales fournies.
Cependant, cette exigence de « plausibilité » d’une solution technique alléguée à la date de dépôt est apparue pour la première fois dans la décision T1329/04. Dans cette décision, il a été jugé que des données expérimentales fournies postérieurement à la date de dépôt ne pouvaient surmonter une objection de défaut d’activité inventive.
Le raisonnement développé par la jurisprudence des chambres de recours de l’OEB pour les inventions en biologie suite à cette décision est détaillé notamment aux points 14 à 16 de la décision T 716/08 :
- Une invention est une solution technique à un problème technique. L’activité inventive doit donc nécessairement résulter de la divulgation d’une solution technique crédible à un problème technique, qui est la contribution de l’invention par rapport à l’art antérieur, justifiant le monopole conféré par le brevet délivré.
- Si la solution technique alléguée par le demandeur n’est pas crédible, alors une activité inventive ne peut être reconnue,
- la vérification de la crédibilité d’une solution technique doit se faire à la date de dépôt de l’invention (point 12 T1329/04) au regard des données fournies dans la description et des connaissances générales de l’homme du métier. Des données fournies ultérieurement ne peuvent remédier à cette exigence de crédibilité à la date de dépôt.
- Une certitude absolue quant à l’obtention de l’effet technique n’est pas nécessaire.
Lorsque la réalisation de la solution technique est explicitement revendiquée-c’est le cas des revendications de seconde indication thérapeutique par exemple- l’absence de crédibilité de la solution technique revendiquée peut entraîner également une objection pour insuffisance de description (Article 83 CBE) ou absence de fondement sur la description (Article 84 CBE) (T409/91)
En pratique, la crédibilité de la solution technique alléguée va s’apprécier en fonction :
- de l’étendue du domaine revendiqué par rapport aux données fournies dans la demande,
- de l’état de la technique dans le domaine à la date de dépôt de la demande,
- du choix de l’état de la technique le plus proche.
2- Décisions T0488/16 et T 0950/13
Ces deux décisions permettent d’établir dans quel cas l’effet technique est jugé crédible ou non, en l’absence de données expérimentales fournies dans la demande. Ces décisions concernent deux brevets du même déposant, relatifs à des composés, notamment le dasatinib, inhibiteurs de la protéine tyrosine kinase (PTK).
T0488/16
Dans cette décision, la chambre de recours a considéré que l’effet technique allégué (inhibition de la PTK par le dasatinib) n’est pas plausible au vu des informations contenues dans la demande. Elle n’a pas admis des données expérimentales fournies postérieurement au dépôt sur le dasatinib:
La demande de brevet telle que déposée décrit une formule générique très large qui couvre un nombre important de composés. Elle décrit également 580 composés spécifiques, mais de structures parfois très différentes, dont le dasatinib. La demande liste également un certain nombre de PTK qui seraient inhibées par ces composés, et les maladies associées.
La chambre a relevé qu’aucune donnée expérimentale et aucun test précis pour déterminer l’activité des composés n’étaient décrits dans cette demande. Il était en effet simplement précisé que ces composés ont été testés et sont « actifs ». La chambre de recours a considéré que cette seule affirmation était insuffisante pour rendre « crédible » la résolution du problème technique, en particulier au regard du nombre très important de composés listés dans la demande, de structure différente. Il était dès lors peu probable pour l’homme de l’art qu’un nombre aussi important de composés cités possède l’effet allégué : l’inhibition de plusieurs PTK, pour traiter différentes maladies. Ainsi, même si la revendication principale a été limitée au dasatinib et des données postérieures étaient fournies sur le dasatinib, rien dans la description ne permettait de rendre plausible le fait que le dasatinib en particulier pouvait inhiber la PTK.
La chambre rappelle que la fourniture des données expérimentales au dépôt n’est pas indispensable. Cependant, il est indispensable de démontrer que le problème technique était au moins plausiblement résolu à la date de dépôt.
T0950/13
Dans cette décision, la chambre de recours a considéré que l’effet technique allégué était plausible au vu des informations contenues dans la demande et a admis les données expérimentales fournies postérieurement au dépôt comme confirmation.
La demande telle que déposée reprenait en grande partie la description du brevet dont il est question dans la décision T0488/16 ci-dessus. Là encore, la demande ne fournissait aucune donnée expérimentale. Toutefois, à la différence de la première demande, elle comprenait un passage où une molécule spécifique, le dasatinib, était identifiée comme le seul composé préféré. Il était également décrit que le dasatinib peut être utilisé dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique (CML). Une analogie de ce composé avec le mode d’action de l’imatinib (Gleevec), un composé ayant été approuvé pour le traitement de la CML, était également mentionnée.
Dans ces conditions, la chambre de recours a considèré que la demande décrit un effet technique plausible, le traitement de la CML par le dasatinib, et qu’il n’y a pas de raisons apparentes pour que l’homme de l’art considère cet enseignement comme invraisemblable.
Au passage, la chambre a confirmé que l’évaluation de la crédibilité d’une solution technique ne se confond pas avec l’évaluation de l’activité inventive : le fait qu’une solution technique ne soit pas évidente au regard de l’art antérieur ne la rend pas forcément invraisemblable (« implausible »).
3- Conclusion
Ces décisions confirment donc la pratique de l’Office Européen des Brevets concernant l’exigence de crédibilité d’une solution technique:
- des données expérimentales ne sont pas exigées à la date de dépôt pour rendre crédible une solution technique alléguée, sauf s’il existe des raisons apparentes pour considérer cette solution comme peu vraisemblable,
- en l’absence de données expérimentales, c’est donc bien à l’examinateur/opposant de fournir un raisonnement sur le caractère douteux/non vraisemblable de l’effet technique allégué, au regard des connaissances générales de l’homme du métier et de l’enseignement de la demande à la date de dépôt,
- en cas de doutes a priori et étayés sur la vraisemblance de l’effet technique allégué, les revendications seront jugées non brevetables et des données expérimentales ne peuvent être fournies a posteriori.
Attention par conséquent lors de la rédaction de demandes faiblement étayées par des données techniques, à bien définir un domaine suffisamment étroit pour maintenir la « crédibilité » de l’histoire…