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Premiers contacts avec la Juridiction Unifiée en matière de Brevets (JUB) : Renonciation au bénéfice de la JUB
De Geoffroy Cousin
L’Accord sur la Juridiction Unifiée en matière de Brevets (AJUB) et le Brevet Européen à Effet unitaire (BEEU) ont été annoncés en 2012. Suite aux premiers émois, l’intérêt pour ce nouveau système a faibli pendant le long processus de ratification de l’AJUB.
L’annonce de la prochaine ratification par le Royaume-Uni et l’Allemagne augure une prochaine entrée en vigueur du système (sous réserve de l’impact d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne). Une des premières questions à se poser pour les titulaires de droits est de savoir s’ils souhaitent enregistrer un effet unitaire pour leurs brevets européens, un sujet sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Assez paradoxalement, avant même de se poser la question de l’effet unitaire, les titulaires de droits, doivent commencer par déterminer s’il est souhaitable pour eux de renoncer au bénéfice de la nouvelle juridiction (JUB).
C’est une question complexe qui nécessite déjà de comprendre quels pourraient être les bénéfices de la JUB.
Rappelons ici que, par défaut, la JUB traitera la grande majorité des litiges en matière de brevets européens (contrefaçon, validité, déclaration de non-contrefaçon), que ceux-ci aient ou non un effet unitaire, y compris les brevets européens ou les demandes de brevet européen déposés avant l’entrée en vigueur de l’AJUB, en d’autres termes, par défaut, et grosso modo, tous les brevets européens. Elle statuera pour l’ensemble des états ayant ratifié l’AJUB dans lesquels le brevet européen est en vigueur.
L’un des effets de la JUB est donc qu’il sera possible pour le titulaire de droits d’obtenir une décision unique pour un territoire pluri-national, qui plus est d’une manière qui est annoncée rapide (plaidoiries finales annoncées sous moins d’un an dans le préambule de la version 18 des Règles de Procédure de la JUB (RPJUB)), ce qui mettra une forte pression sur le défendeur.
Bénéfique en cas de position favorable au demandeur, ce système a pour corollaire le risque de faire face à une décision contraire de portée géographique générale.
Or ce dernier est actuellement difficilement appréciable la JUB ne pouvant encore s’appuyer sur aucune jurisprudence propre, et les inspirations issues des différents droits nationaux étant encore impossibles à mesurer.
Pour les brevets européens non-à effet unitaire (BENEU), l’AJUB autorise ainsi, pendant une période transitoire de sept ans à compter de son entrée en vigueur, à ce que les actions en contrefaçon ou en nullité soient intentées devant les tribunaux nationaux.
Si les titulaires de droit prudents choisiront peut-être, pendant cette période transitoire, d’initier leurs actions devant les tribunaux nationaux, la JUB risque d’être fortement sollicitée pour des actions en nullité de brevets européens. En effet, un demandeur en nullité pourra, même postérieurement au délai d’opposition devant l’Office Européen des Brevets (OEB), demander de manière centralisée la nullité du brevet européen devant la JUB.
Pour les brevets européens non-à effet unitaire (BENEU), la JUB permet ainsi au titulaire de renoncer au bénéfice de la JUB (procédure de renonciation, dite d’« opt-out »). Dans le cas d’une telle renonciation, le brevet resterait soumis à un système de litiges en contrefaçon/validité devant les juridictions nationales.
Malgré la lenteur de certaines procédures nationales, et l’existence de décisions discordantes selon les pays, la tentation, pour les titulaires de droits, de renoncer au bénéfice de la JUB au profit d’un système estimé connu, est donc compréhensible, d’autant plus si cette renonciation permet d’éviter une action unique à l’encontre de la validité du brevet.
A l’entrée en vigueur de la JUB, on pouvait donc craindre une course entre les déposants se précipitant pour déposer une renonciation au bénéfice de la JUB (« opt-out ») pour éviter une action en nullité centralisée et les demandeurs en nullité ne voulant pas laisser passer cette opportunité de venir contester efficacement des brevets européens délivrés.
Pour éviter ce problème potentiel, il a été annoncé que les titulaires de droits pourraient inscrire leur renonciation avant même l’entrée en vigueur de l’accord (période dite « sunrise » dont les modalités restent à définir). C’est ainsi qu’une des premières questions à se poser quant à ce nouveau système est celle de la renonciation au bénéfice de la JUB.
La JUB permet également, pour ceux qui auront choisi de renoncer au bénéfice de la JUB, de revenir dans la partie (procédure dite d’ « opt-in »), c’est-à-dire d’abandonner leur renonciation au bénéfice de la JUB.
Une stratégie envisageable pourra donc être de renoncer au bénéfice de la JUB (« opt-out ») pour éviter une action centralisée en invalidité et, en cas d’action offensive, d’étudier alors la possibilité de bénéficier de la JUB plutôt que des juridictions nationales et alors d’abandonner la renonciation (« opt-in »).
Toutefois, il existe aussi un risque à renoncer au bénéfice de la JUB. Cela aurait été trop simple !
Par le passé, les projets de Règles de Procédure étaient tels que renoncer au bénéfice de la JUB présentait un risque faible, car il était prévu qu’il soit possible à tout moment de bénéficier à nouveau du bénéfice de la JUB (« opt-in »), sauf dans le cadre d’une affaire donnée déjà engagée devant un tribunal national.
Toutefois, selon la Règle 5.9 des RPJUB, il est désormais prévu que, pour un brevet européen pour lequel il a été renoncé au bénéfice de la JUB, et ayant été impliqué devant une juridiction nationale dans une affaire portant sur une question sur laquelle la JUB est compétente, il ne soit plus possible de retirer la renonciation au bénéfice de la JUB (« opt-in »), même si l’affaire en question est terminée. En d’autres termes, un brevet ayant fait l’objet d’une renonciation (« opt-out ») au bénéfice de la JUB pourrait être verrouillé (« locked out ») en dehors de la JUB par une action devant un tribunal national.
Pour certains brevets pour lesquels la JUB pourrait présenter un intérêt (notamment quand la jurisprudence et la pratique commenceront à être bien établies), il pourrait être dommage d’avoir été verrouillé en dehors de la JUB par une action nationale intentée par un tiers du fait d’une renonciation (« opt-out ») intempestive.
Les titulaires de droit devront donc se poser au cas par cas la question de la renonciation au bénéfice de la JUB, notamment parce qu’un brevet n’aura le droit qu’à un seul enregistrement de renonciation « opt-out ».