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Protection de l'environnement et contrefaçon
Ou comment concilier protection de l’environnement et éradication des produits de contrefaçon ?
La protection de l’environnement est désormais une préoccupation majeure qui implique tout un chacun et notamment les titulaires de droits en leur qualité de producteurs, importateurs et distributeurs de produits.
Aussi un projet de loi récent relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire1 vise à obliger les producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires neufs à réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus.
Cette obligation vise-t-elle les produits non conformes, produits dont le respect des exigences réglementaires ou d’autres exigences de sécurité ne sont pas remplies ? Le projet de loi n’est pas clair à cet égard et ne dit en outre rien au sujet des produits de contrefaçons.
Se pose alors la question de savoir si les contrefaçons qui par définition sont des produits non conformes doivent être expressément écartées du projet de loi, et de fait, interdites de réemploie, réutilisation ou de recyclage ?
Dans l’affirmative que fait-on de ces produits contrefaisants ?
En règle générale, les méthodes utilisées pour se débarrasser des contrefaçons sont l’incinération à l’air libre, le broyage, l’écrasement, l’enfouissement dans une décharge et le don, ces méthodes variant en fonction de la nature des produits devant être détruits.
On sait désormais que l’incinération à ciel ouvert est le moyen de mise à l’écart le plus inapproprié pour les marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle et comporte le risque de produire des effets dévastateurs à long terme sur l’environnement et la santé. Pourtant, ce procédé est fréquemment utilisé et même généralement privilégié lors d’événements visant à sensibiliser le public au problème de la contrefaçon.
Des procédés tels que le broyage et le déchiquetage, puis le confinement, afin d’éviter toute incidence sur l’environnement ou la santé publique seraient préférables.
Mais une fois encore il s’agit là d’une question de volume et de coûts.
En effet le retrait des produits de contrefaçon devient beaucoup plus coûteux et complexe sur le plan technique car les gouvernements et les titulaires de droits doivent s’efforcer de mettre en œuvre des mesures conformes à l’Accord sur les ADPIC2 qui tiennent aussi compte de la nécessité d’atténuer l’impact sur l’environnement et de se conformer aux conditions prévues par d’autres législations nationales.
Cette mise en œuvre de méthodes et de procédures qui permettent de remplir les obligations de l’Accord sur les ADPIC, tout en atténuant l’impact sur l’environnement et en protégeant les consommateurs, représente un défi d’actualité pour les gouvernements et les titulaires de droits.
A cet égard une résolution de l’Association internationale pour les marques (INTA), en date du 7 mars 2005, exposait les attentes de ses membres en ce qui concerne l’écoulement de produits de contrefaçon :
- “Par conséquent, afin de mettre en place un régime plus efficace d’application des mesures douanières contre le trafic transfrontalier de produits de contrefaçon, le Comité sur la lutte anticontrefaçon et l’application des droits de l’INTA (ACEC) recommande aux gouvernements de prendre des mesures appropriées pour réduire ou supprimer les frais dont doivent s’acquitter les propriétaires de marques pour l’entreposage et la destruction des produits de contrefaçon.
- Les gouvernements devraient également prendre des mesures appropriées pour veiller à ce que tous les produits de contrefaçon soient obligatoirement détruits, définitivement écartés des circuits commerciaux ou écoulés avec l’accord des titulaires de droits lorsqu’il n’existe aucun risque pour la santé et la sécurité."
L’Etat Français n’a quant à lui envisagé que la solution de la destruction en mettant en œuvre depuis janvier 20193 une tarification des frais de stockage et de destruction de contrefaçon à la charge des titulaires de droits4.
Ainsi et contrairement à nos voisins belges et néerlandais, aucune solution de recyclage n’est pour l’heure étudiée en France.
Cependant il existe des solutions plus économiques et en adéquation avec la protection de l’environnement.
A la cinquième session du Comité consultatif de l’OMPI5 sur l’application des droits, M. Ronald Brohm, SNB-REACT Pays Bas6, avait rappelé la situation en ce qui concerne les coûts de l’entreposage et de la destruction des produits de contrefaçon :
“- L’entreposage et la destruction des produits contrefaisants sont devenus d’importants sujets de préoccupation dans bon nombre de pays. Les points de vente se débarrassent de leurs stocks et le gaspillage de ressources est considérable et se révèle, en définitive, extrêmement coûteux.”
Il avait également indiqué que SNB-REACT (une association de détenteurs de droits à but non lucratif) exploite aux Pays Bas une installation d’entreposage et de destruction soutenue par les organismes chargés de l’application de la loi et les titulaires de droits, qui crée des emplois pour les personnes atteintes de handicap.
Une fois saisis par les douanes néerlandaises, les produits de contrefaçon sont transportés vers une installation d’entreposage propriété de SNB-REACT.
L’installation est sous l’autorité administrative des douanes. Une fois les procédures juridiques finalisées, les produits de contrefaçon sont recyclés (le cas échéant), ce qui a pour effet de créer des emplois et garantit que, dans la mesure du possible, l’accent soit mis sur le recyclage au lieu de dégrader l’environnement en incinérant simplement les produits de contrefaçon.
La transformation des composants de chaussures de contrefaçon en composés destinés à des surfaces sportives synthétiques en est un exemple.
Le système mis en place par SNB- React fonctionne bien et il existe d’autres illustrations des procédés de traitement de produits de contrefaçon.
Le Southwark Trading Standards Service (R.U)7 qui traditionnellement incinérait les produits de contrefaçon a adopté, après avoir consulté les titulaires de droits, de nouveaux procédés. Voici une liste non exhaustive de ces nouveaux procédés :
- Les vêtements et les chaussures sont désormais recueillis par un organisme de bienfaisance enregistré, “His Church”, qui démarque les articles et les exporte à des fins humanitaires. Cet organisme a conclu un accord avec la UK Federation against Copyright Theft (FACT), qui lui a officiellement reconnu la capacité de démarquer les vêtements de contrefaçon et de les réétiqueter avec la propre marque de l’organisme de bienfaisance : “His”. Les vêtements sont ensuite exportés à des fins humanitaires ;
- Les imitations de sacs à main et de portefeuilles ainsi que les DVD pirates sont donnés à la police afin qu’elle les utilise pour entraîner les chiens détecteurs;
- Les DVD, les CD et les autres produits plastiques sont dilacérés et utilisés dans la fabrication de stylos, de porte crayons et de reliures ;
- Les fausses piles sont recyclées de manière sûre et respectueuse de l’environnement par le service de voirie local.
Cela étant de nombreux titulaires de droits sont d’avis que le don de produits contrefaisants à des fins humanitaires est une question sensible et la plupart d’entre eux déclarent ne pas y être favorable. Cette opposition est fondée mais ceux-ci ne doivent pas perdre de vue les répercussions sociales positives de ce genre de pratique, et des normes sur le ré- étiquetages pourraient s’envisager à cet égard.
Demeure l’épineuse question des produits dangereux.
Parmi ces produits on peut citer notamment : les produits agrochimiques (pesticides et insecticides), les articles électroniques contenant du mercure, l’alcool, les produits pharmaceutiques, les articles électriques, les cigarettes, et bien d’autres.
Pour conclure, les frais d’entreposage et de retrait sont une source de préoccupation majeure pour les gouvernements et les titulaires de droits. La durée d’entreposage de produits ainsi que les frais occasionnés par les conditions de plus en plus techniques et complexes qui doivent être remplies pour la destruction de volume souvent important de produits de contrefaçon exercent une forte pression sur les budgets actuels.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que la vraie responsabilité se trouve du côté du contrefacteur, de l’importateur ou du commerçant malhonnête. Des mesures civiles, pénales et administratives doivent réduire ces coûts lorsque le coupable peut être identifié, ce qui malheureusement est vain dans la majorité des cas. Il est à cet égard utile que les procédures judiciaires soient non seulement rapides et efficaces mais également garantissent une compensation aux gouvernements et aux titulaires de droits pour les frais engagés.
Aux États-Unis d’Amérique, la totalité des coûts de stockage et de destruction des marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle est couverte par le Treasury Forfeiture Fund au moyen de ressources issues de la saisie de produits d’activités criminelles.
De quoi inspirer nos gouvernements en Europe.
Comme on peut le constater la question est délicate et mérite réflexion.
1 Présenté au conseil des Ministres le 10 juillet 2019, adopté en 1ère lecture au Sénat le 30 septembre 2019
2 Les articles 46, 59 et 61 de l’Accord sur les ADPIC fournissent le cadre juridique international pour les procédures adoptées en vue d’écouler les marchandises qui portent atteinte au droit des marques ou au droit d’auteur
3 Arrêté 11 décembre 2018 fixant les modalités de calcul des frais de stockage, de manutention, de transport et de destruction des marchandises soupçonnées d’être contrefaisantes (JORF n°0295 du 21 décembre 2018, n° 72)
4 Voir notre newsletter n° 7, mars 2019
5 https://www.wipo.int/edocs/mdocs/enforcement/en/wipo_ace_5/wipo_ace_5_7.pdf
6 https://www.react.org/
7 https://www.southwark.gov.uk/business/trading-standards-and-food-safety/anti-counterfeiting