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Marques viticoles : de l’Aurore au Crépuscule ?
Les décisions de Cour… laissent parfois l’observateur perplexe.
L’actualité récente en matière de marques viticoles en fait la démonstration, avec le récent arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris le 29 janvier 2019 au sujet d’un contentieux opposant la Société Coopérative Viticole de Lugny « L’Aurore » à la SASU Bernard Magrez Grand Vignobles du Sud.
Les circonstances de l’affaire sont somme toute assez classiques :
La SCV « L’Aurore » est titulaire des deux marques semi-figuratives ci-dessous, désignant des vins :
Marque de l’UE du 24 mars 2003 | Marque de l’UE du 15 décembre 2014 |
La SASU Bernard Magrez, de son côté, propose sur son site Internet et divers sites marchands, depuis 2014 au moins, une gamme de vins appelée « L’Aurore en Gascogne », commercialisés sous la forme suivante :
Confiante dans son bon droit, la SCV « L’Aurore », après être intervenue de manière amiable en vain auprès de la SASU Bernard Magrez, finira par assigner cette dernière en 2016 devant le TGI de Paris en contrefaçon de ses marques.
Déboutée en première instance, la SCV « L’Aurore » se tourne alors vers la Cour d’Appel de Paris, en faisant valoir :
- le caractère dominant et distinctif du terme « L’AURORE », à la fois au sein des deux marques de l’Union européenne et sur l’étiquette des vins de Bernard Magrez,
- l’aspect secondaire des autres composantes de l’étiquette (expression « En Gascogne », paysage de vignes et slogan « La douceur de nos vignes »).
Au grand dam de la SCV « L’Aurore », la Cour d’Appel de Paris, vient de confirmer le jugement du TGI et écarte toute contrefaçon.
La principale motivation du rejet des demandes de la SCV « L’Aurore » peut être résumée comme suit :
Tout en reconnaissant que l’étiquette de la gamme de vins de Bernard Magrez comprend dans sa partie verbale le terme « L’AURORE », la Cour d’Appel considère qu’elle « diffère totalement » des marques de la SCV « L’Aurore » :
- à la fois dans la partie verbale, en raison de la présence du terme « En Gascogne » et de la signature « Bernard Magrez » (!) ;
- « ensuite et surtout par sa partie figurative, comprenant des photographies de paysages sombres et automnaux, en opposition à des dessins de levers de soleil gais et lumineux »…
Un observateur attentif pourrait s’étonner du caractère peu nuancé de la décision, au regard notamment de la jurisprudence habituelle en la matière.
En effet, il semble bien que la Cour d’Appel ait orienté sa décision sur la prise en considération des différences, en faisant peu de cas des ressemblances, et en donnant une importance démesurée aux éléments figuratifs par rapport aux éléments verbaux. Position rare qui doit être soulignée.
Avant la décision de la Cour d’Appel de Paris, nous notons à titre d’exemple les décisions suivantes ayant admis un risque de confusion entre les signes semi-figuratifs suivants pour désigner des produits de la classe 33 :
Signe antérieur | Signe contesté | |
INPI n°17-2798 du 29-12-2017 |
« Au sein de la marque antérieure, les termes MON ANGE, inscrits en caractères de grande taille et par lesquels le signe sera lu et prononcé, apparaissent essentiels, les éléments figuratifs n’en altérant pas le caractère immédiatement perceptible ». |
« Au sein du signe contesté, les termes MON ANGE, par lesquels le signe sera lu et prononcé, apparaissent essentiels, les éléments figuratifs, représentant un ange assoupi, ne faisant qu’illustrer ces éléments verbaux et n’en altérant pas le caractère immédiatement perceptible ». |
INPI n°17-4205 du 9-04-2018 |
« La présence d’un élément figuratif n’est pas de nature à faire perdre aux termes PINK LADY leur caractère prépondérant et immédiatement perceptible au sein de la marque antérieure ». |
« Les termes PINK LADIES / LADY présentent un caractère distinctif au regard des produits en cause; Que ces termes présentent un caractère essentiel au sein du signe contesté, en raison de leur position (placés au centre de tous les autres éléments le composant), de la taille importante des caractères utilisés et au regard des autres termes écrits en plus petits caractères qui constituent de simples mentions d’étiquetage » |
Cour d’Appel de Paris du 29-10-2017 |
« Dans le signe ainsi constitué l'élément verbal apparaît distinctif pour désigner des produits de la vigne et dominant dès lors que le consommateur le conservera en mémoire tandis que l'élément figuratif sera perçu comme un élément décoratif et accessoire ». |
« L’élément figuratif, également évocateur des produits de la vigne sera perçu comme un élément décoratif et accessoire ». |
De manière plus générale, et au-delà des appréciations que l’on pourrait porter sur la décision de la Cour d’Appel du 29 janvier 2019, cet arrêt a ainsi le mérite d’interroger les déposants sur le choix de la forme à donner au(x) dépôt(s) de leur(s) marque(s).
En effet, cette question revêt une acuité toute particulière dans le domaine des marques viticoles tant il parait de plus en plus délicat de dire qu’il existe une jurisprudence constante en la matière. Ce domaine deviendrait-il difficilement prévisible ?
Il n’empêche que le dépôt d’une marque dans sa forme purement nominale reste le « dépôt-roi » à privilégier tant en France qu’au niveau de l’UE, pour autant bien entendu que le terme choisi soit distinctif.
On pourrait en effet légitiment penser que les juges de première instance, comme ceux de la Cour d’Appel de Paris, auraient tranché différemment en ayant à comparer une marque antérieure constituée du seul terme L’AURORE et l’étiquette en cause de la SASU Bernard Magrez.
Et quid, à côté du dépôt de la marque sous sa forme verbale, d’un dépôt de la marque cette fois sous sa forme semi-figurative et/ou de l’étiquette ?
À cette question nous répondrons, par un grand OUI, il faut le faire ! Surtout en matière viticole, où l’appréciation du risque de confusion laisse la part belle à la perception visuelle qu’a le consommateur de deux marques présentant des composantes figuratives, ce dernier attachant une certaine importance, lors de son acte d’achat, au design de l’étiquette.
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