Articles

Article
Marques & Modèles

Exploitation immédiate et constante des marques pour les protéger contre la contrefaçon ?

Rédigé par Charline Mesonero

Vers une exigence d’exploitation immédiate et constante des marques comme condition de leur protection contre la contrefaçon ?

C’est la question que l’on est en droit de se poser à la suite d’un arrêt du 13 septembre 2016 rendu par la Cour d’appel de Paris, qui semble avoir adopté une position singulière en matière de caractérisation d’actes de contrefaçon de marque.

Les faits - Monsieur Laurent BUOB, titulaire d’une marque française « SAINT GERMAIN » n° 05 3 395 502, qui couvre les boissons alcooliques, vins et spiritueux en classe 33, assigne trois sociétés devant le Tribunal de grande instance de Paris, le 8 juin 2012, pour contrefaçon de sa marque en raison de l’usage qu’elles font de la dénomination ST-GERMAIN pour désigner une liqueur de sureau.

Il se trouve que dans le cadre d’une autre instance parallèle engagée par M. BUOB sur la base de sa marque « SAINT GERMAIN », le Tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé (par jugement du 28 février 2013, confirmé par la Cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 11 février 2014) la déchéance pour défaut d’exploitation de cette marque, ladite déchéance prenant effet à compter du 13 mai 2011.

Il importe de préciser que la publication de l’enregistrement de la marque française « SAINT GERMAIN » étant intervenu le 12 mai 2006, le délai de déchéance de 5 ans expirait le 12 mai 2011. Cela signifie donc que la déchéance a pris effet au premier jour où elle le pouvait, et que pendant toute la période antérieure au 13 mai 2011, la marque « SAINT GERMAIN » n’était pas soumise à obligation d’usage.

La décision - Jusqu’à présent, la question de la contrefaçon d’une marque se posait de la façon suivante, de manière quelque peu « binaire » :

  • soit la marque antérieure est valable et en vigueur (et un usage ou une marque postérieur(e) couvre des produits ou services identiques ou similaires et présente des ressemblances suffisantes pour engendrer un risque de confusion), et la contrefaçon est alors « automatiquement » caractérisée ;
  • soit une marque n’est pas valable ou plus en vigueur, et la contrefaçon est alors écartée (l’action en contrefaçon étant irrecevable pour absence de droit).

Formulée différemment, il est traditionnellement retenu qu’à partir du moment où une marque antérieure est valable (ni annulée ni frappée de déchéance) et en vigueur (dûment enregistrée ou renouvelée), elle bénéficie d’une « pleine » protection à l’égard des signes postérieurs, et ce, quel que soit l’usage de cette marque antérieure (la seule influence de l’usage pouvant dans ce cas être de faire varier le montant des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués au titulaire de la marque antérieure).

Il est dès lors considéré que le déposant d’une marque peut agir en contrefaçon à l’encontre des tiers sans s’inquiéter de l’usage de sa marque au cours des quelques années qui suivent le dépôt de celle-ci (plus précisément, au cours des 5 années à compter de la publication de l’enregistrement de la marque, période pendant laquelle la marque n’est pas soumise à obligation d’usage, et n’est donc pas vulnérable à une action ou à des demandes reconventionnelles de déchéance pour défaut d’exploitation).

Corrélativement, il était habituellement admis par la jurisprudence que même lorsque la déchéance d’une marque était prononcée, les actes litigieux antérieurs à la prise d’effet de la déchéance constituaient des actes de contrefaçon (ce qui est logique, puisqu’à cette date, la marque était en encore valable).

Cette solution et ce raisonnement semblent directement remis en cause par les juridictions parisiennes (jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 janvier 2015 et arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 septembre 2016) dans cette affaire.

En effet, en l’espèce, la Cour rejette l’action en contrefaçon :

  • à l’égard des faits antérieurs à la prise d’effet de la déchéance, donc commis à une période où la marque antérieure était valable et non déchue (elle n’était pas encore soumise à obligation d’usage et ne pouvait donc pas être frappée de déchéance) ;
  • au motif que la marque antérieure « SAINT GERMAIN » n’a pas été réellement exploitée pendant cette période, ce qui exclut selon la Cour qu’une atteinte ait pu être portée à sa fonction d’indication d’origine ou à son monopole d’exploitation :

« Monsieur BUOB échoue ainsi à démontrer que sa marque a été réellement exploitée ; il ne peut arguer utilement d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de cette marque qui […] vise essentiellement à garantir aux consommateurs la provenance du produit ou service fourni en le distinguant de ceux proposés par la concurrence, ce qui suppose que la marque ait été en contact avec ces consommateurs ;
Pour la même raison, M. BUOB ne peut se prévaloir d’une atteinte portées au monopole d’exploitation conféré par sa marque ; »

En d’autres termes, la Cour d’appel de Paris a considéré que les documents produits par Monsieur BUOB, s’ils établissent la réalité de préparatifs en vue du lancement de la crème de cognac « SAINT GERMAIN », sont toutefois insuffisants à démontrer que la marque en cause a été effectivement mise au contact du public, ce qui interdit la caractérisation d’actes de contrefaçon à son égard, même antérieurement à sa déchéance.

Il est difficile d’apprécier, à ce stade, la réelle portée de ces décisions.

Cependant, si la position adoptée par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire devait se généraliser (et passer sous les fourches caudines de la Cour de cassation, dans la mesure où il est possible qu’un pourvoi en cassation ait été formé à l’encontre de cet arrêt), il deviendrait indispensable à tout déposant de se mettre à exploiter ses marques le plus rapidement possible à compter de leur dépôt, mais également, ensuite, de les exploiter de manière absolument constante, afin de leur conférer une pleine et continue protection.

Bien entendu, nous vous tiendrons informés des suites réservées à cette affaire, et plus généralement à cette nouvelle position jurisprudentielle.

Partager sur :