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Arbitrage et médiation : des alternatives efficaces en matière de brevets d’invention ?
En 1739, Voltaire vantait la pratique hollandaise du recours aux juges conciliateurs, appelés faiseurs de paix, comme préalable au procès :
« Si les parties arrivent avec un avocat ou un procureur, on fait d’abord retirer ces derniers comme on ôte le bois d’un feu qu’on veut éteindre […]. Si leur folie est incurable, on leur permet de plaider, comme on abandonne à l’amputation des chirurgiens des membres gangrenés ; alors la justice fait sa main ».
Plus récemment, une enquête internationale sur le règlement des litiges relatifs à des transactions en matière de technologie (The international Survey on Dispute resolution in Technology transactions) a été menée afin de dresser un tableau des pratiques actuelles et des nouvelles tendances en ce qui concerne le recours aux modes extrajudiciaires de règlement des litiges par rapport aux procédures judiciaires classiques.
“L’enquête confirme que les parties aux contrats de technologie s’inquiètent des coûts élevés et de la longueur des litiges, notamment dans un contexte international”, a déclaré le Directeur général de l’OMPI, M. Francis Gurry. “Si l’action en justice reste la solution par défaut, les réponses recueillies dans le cadre de l’enquête indiquent que les modes extrajudiciaires de règlement des litiges constituent des solutions intéressantes en termes de coût et de temps, ainsi que d’applicabilité, de qualité des résultats et de confidentialité”, a-t-il ajouté.
Arbitrage et médiation : rapidité, coûts, confidentialité et technicité
Rapidité et coûts - Ces deux arguments sont les principaux élevés en faveur de l’arbitrage et de la médiation. Lorsque l’argument financier est décisif dans la détermination de la stratégie contentieuse, la médiation et l’arbitrage seront préférés à une procédure judiciaire. Il serait toutefois trivial de conclure simplement et directement à la célérité de l’arbitrage et de la médiation par opposition aux procédures administratives ou judiciaire. S’il ne fait pas de doute que les délais d’une procédure de médiation sont significativement diminués, la rapidité de la procédure d’arbitrage est à tempérer selon la procédure choisie puisque les délais d’un arbitrage OMPI se rapprochent voire excèdent ceux d’une première instance judiciaire.
D’autres avantages peuvent toutefois être mis en avant.
La confidentialité, avant tout, reste l’apanage et l’atout principal des procédures d’arbitrage et de médiation, que ce soit pour la confidentialité des débats et des pièces soumises comme l’existence et l’objet du litige en lui-même. Si le « linge sale ne doit se laver qu’en famille » pour certains, d’autres pourront cependant regretter les mesures de publicités du jugement édictées pouvant assortir une décision judiciaire.
De plus, un avantage indéniable est la technicité et la spécialisation des juges et médiateurs. Outre la technicité du contentieux, l’exigence de la matière consiste à faire rentrer dans un cadre juridique, une problématique technique.
Les décisions en matière de validité et de contrefaçon étant économiquement lourdes de conséquence cette spécialisation est largement souhaitée par les praticiens, unanimes à réclamer la spécialisation des magistrats en matière de brevets d’invention.
Par ailleurs, la très large ratification de la convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences et la prochaine entrée en vigueur de la convention de Singapour sur la médiation plaident en faveur d’une exécution internationale facilitée des sentences arbitrales et des accords de règlements issus de la médiation.
La médiation et l’arbitrage semblent également plus flexibles et favorables à la poursuite d’une relation commerciale ou sa naissance que le cadre strict de la procédure judiciaire visant à sanctionner et réparer le préjudice et seulement le préjudice subi.
Si ces avantages existent, la médiation et l’arbitrage ont également leurs limites
Que ce soit en matière d’arbitrage, de procédure judiciaire ou administrative ou de médiation, ces procédures procèdent toujours d’un rapport de force d’autant plus perceptible que l’inégalité de puissance entre les parties est grande.
Aussi, l’origine du contentieux, les sommes allouées ainsi que la qualité des parties à l’action seront déterminantes pour définir et choisir la procédure idoine.
Que ce soit tant dans le contentieux de la nullité que celui de la contrefaçon, les parties n’entretiennent généralement aucune relation de quelque nature que ce soit avant que ne survienne le litige, de sorte que c’est par le biais d’un compromis arbitral ou d’une proposition de médiation que le litige pourra être soumis à des arbitres ou à un médiateur ce qui n’est de loin pas le plus fréquent.
Selon la Cour de cassation, la médiation s’applique principalement dans les litiges impliquants psychologiquement et affectivement les parties. Il est alors possible d’imaginer que la médiation puisse être une voie privilégiée pour résoudre un litige opposant des entreprises, probablement des PME, ayant un lien économique ou commercial et souhaitant le préserver dans l’intérêt de leurs développements commerciaux.
On voit cependant mal des génériqueurs initier une médiation ou une procédure d’arbitrage alors que l’invalidation de brevets des laboratoires princeps constitue la clé de voute de leur stratégie dite de « clear the way » pour accéder au marché. Au-delà de problématiques de droit de la concurrence et d’entente qui pourraient d’ailleurs se poser dans le domaine, la question de l’arbitrabilité et de l’applicabilité de la médiation au contentieux de la nullité est centrale.
De plus, l'effet de surprise requis dans certaines circonstances, comme la saisie-contrefaçon, mode de preuve privilégié et opérée en lien avec 80% des brevets, s'accommode mal des principes fondamentaux de confiance et d'égalité des parties qui président à l'arbitrage et à la médiation.
Enfin l’hétérogénéité des législations quant à l’arbitrabilité du contentieux de la nullité, l’arbitrabilité relative du contentieux de la nullité et le rôle du juge homologateur pourraient également être autant de freins à l’utilisation de ces voies alternatives, lorsque la question de la validité du titre est centrale.
De cette revue, il ne semble donc pas se dégager de voie royale lorsqu’il s’agit de déterminer la stratégie contentieuse. La nature même du contentieux, nullité ou contrefaçon, engendrera des réponses différentes quant à l’adéquation d’une procédure extra-judiciaire ou devant un tribunal étatique.
Le groupe Plasseraud IP, composé d’experts dans les différentes branches du droit de la propriété intellectuelle, en collaboration avec les arbitres et médiateurs des centres de médiation et d’arbitrage tel que CMAP, vous accompagnent pour déterminer et adopter la meilleure stratégie visant à prévenir et résoudre vos conflits.
Article issu du mémoire : Arbitrage et médiation appliqués aux contentieux de la contrefaçon et de la nullité des brevets d’invention, dirigé par le Professeur Jean-Michel JACQUET, dans le cadre du Master deuxième année, domaine : Droit, Economie, Gestion, mention Droit de la propriété Intellectuelle, spécialité propriété industrielle, de l’Université de Strasbourg.
Sources
Voltaire - Fragment d’une lettre sur un usage très utile établi en Hollande -1739
Ignacio de Castro et Judith Schallnau – OMPI Magazine - Défendre ses droits de propriété intellectuelle : à quel prix ? - Juin 2013
Jean-Francois Guillot; Marina Couste - France :Global Patent Litigation (Hoyng and Eijsvogels (eds); Mar 2014)
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI – aperçu du nombre de procédures ADR administrées par l’OMPI
Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international : Litec, 1996, n° 1558
Jean-Michel JACQUET – Communication – La convention de Singapour des Nations-Unies sur l’efficacité des accords en matière de médiation internationale – Séance du 5 octobre 2018
Nations Unies CNUDCI – Brochure d’information – Convention des Nations Unies sur les accords de règlement internationaux issus de la médiation « Convention de Singapour sur la médiation »
Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
Nicolas Bronzo - Maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, centre de droit économique, membre de l’équipe de recherche de la Chaire innovation et brevets – Propriété industrielle – Succès et défis de l’arbitrage en droit de la propriété industrielle – Propriété industrielle n°9, Septembre 2015, étude 16
Emmanuel Py – Maître de conférences à l’Université de haute Alsace – Chargé d’enseignements au CEIPI – Chercheur au CERDACC – Fasc.4495 : Annulation du brevet – Créé le 09/03/2011, mis à jour le 10/06/2020
Renaud Fulconis, Laura Barona et Lionel Vial - L'actualité du contentieux brevet en France en quelques chiffres - Propriété industrielle n° 12, Décembre 2017, étude 31