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Procès ou médiation en propriété industrielle : choisir sans renoncer
Traditionnellement le contentieux relatif aux droits de propriété industrielle est porté devant les juridictions de l’ordre judiciaire, désormais en partie spécialisées, parfois devant le juge arbitral. Les parties qui s’affrontent devant le juge envisagent parfois, face à l’ampleur des actions, à l’aléa judiciaire, voire à l’évolution de leur intérêt relativement à l’objet de l’action engagée, de négocier en parallèle une sortie de crise, sans attendre la décision du juge. Des dispositions légales relatives au contentieux de la PI ou les pratiques développées par les magistrats pourraient à l’avenir faire de la négociation entre parties un point de passage obligé.
Négocier, le cas échéant par défaut plus que par choix quand des ressources intellectuelles, humaines, financières ont été extensivement investies dans la gestion d’un procès ne place pas d’emblée les parties dans une configuration idéale pour dialoguer raisonnablement en faveur de leurs intérêts véritables.
L’intérêt affirmé envers les systèmes organisés de résolution extra-judiciaire des différends fait écho à cette difficulté en soutenant le développement d’outils juridiquement encadrés, divers dans leurs formats et disponibles internationalement, y compris pour résoudre des différends avant l’engagement d’un procès, lorsque la stratégie a toute son importance.
La médiation est l’un de ces modes alternatifs de résolution des différends par la voie amiable, ayant pour principe la recherche par les parties d’une solution qu’elles négocient et construisent ensemble et en toute confidentialité, avec l’aide d’un tiers, le médiateur qui est indépendant, neutre, impartial.
Dans des situations de conflit avéré ou potentiel autour de brevets, de marques, de dessins et modèles ou de droits d’auteur, est-il donc permis et est-il avantageux de choisir de traiter des enjeux de monopole, de validité de titres, de prérogatives d’exploitation autrement que par un procès, en médiation ?
Certaines situations imposent le recours au procès ou à l’étape de médiation
- Lorsque la question au cœur du conflit est celle de la validité du titre, par exemple du brevet :
Décider de la validité d’un brevet relève exclusivement des prérogatives du juge judiciaire aux termes des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle (art L613-25 et L613-27 CPI). Autrement dit si l’application de la seule règle de droit est recherchée, seul le juge judiciaire est habilité à rendre une décision. Il en va de même de la validité absolue d’une marque, d’un dessin & modèle.
- De même une partie en quête d’une décision relative à la contrefaçon s’en remettra nécessairement au juge, judiciaire ou arbitral.
- Enfin lorsqu’un contrat lie les parties, par exemple sur la copropriété du titre en cause, des aspects de R&D liés à l’invention objet d’un brevet ou pour l’exploitation du titre, s’il comporte une clause de médiation préalable à une action en justice cette clause contraint les parties :
Autrement dit, la clause de médiation dans un contrat, distincte de la clause d’attribution de juridiction ou d’arbitrage, s’impose aux parties sans possibilité d’y déroger, sauf à lui avoir donné formellement un caractère facultatif. La rédaction d’une clause de ce type doit donc être précise pour notamment permettre aux parties de démontrer qu’elle a été respectée dans toutes ses composantes.
A supposer le choix possible entre procès et médiation, l’une des options doit-elle exclure l’autre ?
Corolaire de ce qui précède, obtenir du juge (judiciaire ou, dans certains cas, arbitral ou des instances de l’Office Européen des Brevets) qu’il constate la nullité d’un titre ou à l’inverse qu’il en reconnaisse la contrefaçon et, par l’effet de la décision faire tomber le monopole d’exploitation du titre ou d’occupation d’un signe ou encore évincer un concurrent du marché, fournit une solution au litige ultime et sans réserve. A priori la motivation peut suffire à opter pour la voie judiciaire ou arbitrale.
Le litige serait alors tranché… Mais est-ce effectivement au terme d’une juste appréciation en droit et en faits des éléments mis en lumière du dossier ?
Conformément aux attentes des parties, de façon prévisible ou sans conséquences excessives ? En tenant compte de toutes les composantes du litige ? Avec quelle perspective entre les ennemis du moment, éventuels anciens ou futurs partenaires ?
Ces questions devraient motiver une réflexion en amont du déclenchement des hostilités judiciaires afin de peser l’engagement dans cette voie en regard de ses écueils et conséquences : les questions en débat qui relèvent effectivement de la compétence du juge imposent-elles d’être tranchées en droit pour sortir de la crise ?
Si le dossier est cerné objectivement dans toutes ses composantes ou si le débat peut raisonnablement être déplacé, l’option d’une voie alternative à la voie judiciaire mérite d’être considérée.
Objectivement, la médiation se distingue radicalement de l’approche judiciaire, sans nécessairement se conclure par une solution écartant le respect des principes juridiques applicables au cas d’espèce. De façon essentielle, la médiation met en présence les parties pour confronter leurs points de vue, se parler sans filtre et pour rechercher – elles-mêmes, en toute autonomie et responsabilité – avec l’aide du médiateur garant du bon déroulement du processus, une solution à leur différend.
Dans ces conditions la médiation autorise une approche plus globale du différend. Son efficacité dépend néanmoins de l’engagement des représentants décisionnaires des parties dans le processus et de la participation de bonne foi des parties à un dialogue direct et confidentiel. En outre, exposer sa perception des désaccords et constater les positions antagonistes n’est qu’une étape pour tenter une nouvelle grille de lecture de la situation. Cette grille de lecture doit être idéalement élargie au-delà des seules questions qui seraient soumises au juge, pour envisager de prendre en compte les intérêts des parties, présents ou futurs.
Même si faire valoir les droits attachés aux titres de PI en cause ou les contester est au cœur du différend, la médiation présente tout son intérêt si la discussion directe offre une occasion de déplacer les enjeux vers des solutions raisonnées, de préférence susceptibles d’apporter un bénéfice mutuel aux parties.
La confidentialité des échanges entre les parties et des déclarations recueillies par le médiateur étant la règle en médiation, la publicité autour du différend peut alors être évitée. De plus, toute liberté est laissée aux parties de quitter le processus de médiation à tout moment, en toute connaissance de cause. L’éventuelle tentation d’utiliser la médiation comme moyen dilatoire peut ainsi être maîtrisée.
A contrario, si affirmer la force de son titre de PI ou à l’opposé lever tout obstacle à une exploitation est un impératif pour préserver ou développer son activité, la publicité permise autour d’un procès et le caractère opposable de la décision judiciaire peuvent représenter un atout significatif.
En conclusion, si en médiation les questions de droit telles que la validité et la contrefaçon ne trouvent pas de réponse tranchée faute de décision faisant autorité, ces questions peuvent être librement et confidentiellement débattues entre les parties parlant pour elles, dans le contexte d’une négociation raisonnée dont l’objectif n’est pas d’établir la vérité (si tant est qu’elle existe en droit !) mais de mettre en mouvement le dialogue et de porter l’attention sur les intérêts, au-delà des seules positions.