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Suffisance de description : la fin de l’exception « anticorps » aux Etats-Unis
Un anticorps peut être traditionnellement décrit de plusieurs façons :
- Par une définition fonctionnelle, dont la plus classique consiste à définir l’anticorps par sa liaison à un antigène spécifique. Lorsque l’antigène est connu, il est possible de définir plus précisément l’anticorps par sa liaison avec un épitope spécifique de l’antigène.
- Par une définition structurelle, dont la plus classique consiste à préciser les séquences des 6 CDRs (complementarity determining regions). De façon plus limitative il est également possible de spécifier les séquences des deux régions variables ou de façon encore plus limitative d’indiquer les séquences complètes des chaînes lourdes et légères.
Conformément à la section 112 du titre 35 de la Loi sur les brevets aux Etats-Unis, l’exposé de l’invention doit être suffisamment complet pour permettre à l’homme du métier de mettre en œuvre, utiliser et comprendre l’invention faite par l’inventeur.
De façon générale, dans le cadre d’une revendication de large portée, le critère de suffisance de description est rempli si la demande décrit des caractéristiques structurelles communes à l’ensemble des objets revendiqués ou fourni un nombre représentatif d’exemples individuels.
En revanche, pour les anticorps, il était théoriquement possible jusqu’à récemment, lorsqu’une nouvelle cible était identifiée, d’obtenir une protection de large portée visant l’ensemble des anticorps se liant à une telle cible, sans néanmoins les générer, les identifier et/ou fournir des données expérimentales, si l’antigène était suffisamment caractérisé.
Une telle dérogation à la pratique générale était notamment prévue dans les directives de l’USPTO sous la notion de « test du nouvel antigène ». Brièvement, ce test considérait que, dans le cas des anticorps, la corrélation entre la structure et la fonction pouvait être satisfaite par la description d’un nouvel antigène (structure, formule, nom chimique et/ou propriétés physiques), si il pouvait être démontré qu’à la date de dépôt de la demande, le niveau de connaissances de l’homme de l’art était tel qu’il permettait de produire des anticorps dirigés contre ce nouvel antigène selon des techniques de routine dans le domaine. Plusieurs décisions de jurisprudence avaient entériné cette pratique.
La décision de la Cour d’Appel Fédérale rendue en 2017, dans l’affaire Amgen v. Sanofi (Amgen v. Sanofi, 872 F.3d 1367 (Fed. Cir. 2017)) renverse la pratique établie en matière de brevetabilité des anticorps et rehausse drastiquement les critères requis pour se conformer à l’exigence de suffisance de description.
L’affaire Amgen v. Sanofi avait débuté suite à une plainte d’Amgen à l’encontre de Sanofi pour violation de ses brevets (US 8,859,741 et US 8,829,165), lorsque Sanofi avait obtenu l’agrément de la FDA pour son médicament Praulent®.
Les brevets Amgen visaient ainsi un anticorps inhibant la liaison de la protéine PCSK9 avec le récepteur LDL-R, entrainant ainsi une diminution du taux sanguin de cholestérol. A titre d’exemple, la revendication 1 du brevet US 8,859,741 définissait l’anticorps comme suit :
“An isolated monoclonal antibody that binds to PCSK9, wherein the isolated monoclonal antibody binds an epitope on PCSK9 comprising at least one of residues 237 or 238 of SEQ ID NO: 3, and wherein the monoclonal antibody blocks binding of PCSK9 to LDLR.”
La description de l’invention comprenait une trentaine d’exemples d’anticorps, la méthode de screening utilisée par les inventeurs pour identifier ces anticorps ainsi que la structure 3D de deux anticorps, notamment celle de l’anticorps commercialisé par Amgen sous le nom Repatha® (evolocumab).
L’ingrédient actif du médicament Praulent® de Sanofi est également un anticorps monoclonal. Bien que sa structure diffère du celle du Repatha® d’Amgen, il est dirigé contre la même cible et entraine le même effet biologique (une diminution du taux de cholestérol).
Sanofi avait contesté la validité des brevets Amgen en invoquant notamment l’insuffisance de description, mais la Cour de District du Delaware avait confirmé la validité des brevets Amgen couvrant le Repatha®, et interdit les ventes du médicament concurrent de Sanofi.
La Cour d’Appel Fédérale a estimé qu’elle n’était pas liée par les décisions antérieures sur ce sujet et renversant la décision de la Cour de District, elle a considéré qu’il n’était pas correct d’utiliser le test du « nouvel antigène » pour vérifier qu’une demande était conforme à l’exigence de description, lorsque la demande revendique un anticorps. Autrement dit il n’est plus possible de définir un anticorps simplement par sa cible, y compris lorsque celle-ci est nouvelle.
L’USPTO prenant note de cette jurisprudence a adapté sa pratique et publié un mémorandum précisant désormais :
“In view of the Amgen decision, adequate written description of a newly characterized antigen alone should not be considered adequate written description of a claimed antibody to that newly characterized antigen, even when preparation of such an antibody is routine and conventional".
Les références au test du « nouvel antigène » indiquées dans les directives relatives à l’exigence de l’exposé de l’invention sont donc obsolètes et de nouvelles directives seront émises prochainement.
Cet arrêt signe la fin de l’exception « anticorps » en matière de suffisance de description.
Les déposants habitués à protéger de façon large un ensemble d’anticorps sur la base de la caractérisation d’une nouvelle cible devront désormais être particulièrement attentifs :
- soit à décrire des caractéristiques structurales communes à l’ensemble des anticorps dont ils veulent obtenir la protection – ce qui peut représenter un travail considérable pour identifier les séquences communes d’une classe d’anticorps ;
- soit à fournir un nombre représentatif d’exemples couvrant la portée de la revendication – cette approche est cependant entachée d’une grande incertitude dans la mesure où la notion de « nombre représentatif » est laissé au libre arbitre de l’examinateur ou de la Cour…
A noter qu’une telle limitation n’existe pas réellement en Europe, où des revendications visant des anticorps définis par leurs cibles restent théoriquement brevetables.
Les difficultés éventuelles en matière de brevetabilité en Europe viennent plutôt de l’art antérieur. En effet, l’OEB considère depuis longtemps que la génération et l’identification d’un anticorps dirigé contre un antigène spécifique sont des techniques de routine pour l’homme du métier. De tels arguments sont généralement utilisés par le demandeur de brevet ou le breveté pour surmonter une éventuelle objection d’insuffisance de description lorsque la description ne contient pas de données expérimentales relatives à l’anticorps revendiqué. A double tranchant, ils peuvent être retournés contre le titulaire sous forme d’objection d’activité inventive. Ainsi l’absolue nouveauté de l’antigène est un critère essentiel pour obtenir une protection sur des anticorps définis par leur cible ; un critère qui devient désormais difficile à remplir…