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Marques distinctives : coup de frais sur les cosmétiques !

Newsletter Mars 2021

Choisir une marque est un exercice d’équilibriste.

Imaginez-vous sur un fil, 

- au-dessus d’un précipice rempli d’antériorités n’attendant qu’une occasion pour se manifester plus ou moins agressivement, si vous vous en approchez trop
- portant sur vos épaules un long balancier avec : 

  • dans le premier plateau, les exigences de vos commerciaux, pour qui une bonne marque c’est un signe qui se comprend immédiatement, facilitant la mise en avant des mérites des produits et services concernés
  • et dans le second, les textes de loi, et la pratique des offices, recommandant au contraire, de retenir un signe arbitraire, sans lien direct avec votre domaine d’intervention.

Bien sûr, 

- entre un terme totalement abscons, juridiquement fort mais qui nécessitera un argumentaire publicitaire solide et pléthorique pour en faire connaitre les bienfaits 
- et un assemblage de termes purement basiques, immédiatement compréhensibles de tout un chacun, et de ce fait, à encéphalogramme juridique plat empêchant sa protection,

Il y a toute une frange de signes évocateurs, simple clin d’œil ou allusifs, qui eux, ont le mérite de donner des indices aux consommateurs, tout en respectant les exigences légales.

Le problème est

- que ladite frange n’est d’une part pas facile à cerner en tant que telle (à partir de quand l’allusif bascule-t-il dans le descriptif ?), 
- et que de plus elle est mouvante :

  • dans l’espace (chaque pays, chaque office de marque, a sa conception, plus ou moins stricte de la notion de marque acceptable).
  • et dans le temps (un enregistrement n’est pas à l’abri d’une invalidation postérieure) 

Si tous les déposants sont bien sûr confrontés à ce dilemme, il est cependant un secteur où ce dernier s’illustre particulièrement, les intervenants touchant à ce que nous avons de plus personnel (du moins en surface), à savoir notre apparence.

Dans le monde de la cosmétique, la volonté de dénommer ses produits via l’effet technique promis par ces derniers, est une tentation endogène.

Or cette tendance naturelle n’est pas sans risque, loin de là.

Cas pratique de la marque WONDERSKIN

Originaire des USA, où la définition d’une marque acceptable est très généreuse, elle y fut donc enregistrée sans problème. Les choses se gâtèrent en revanche franchement, lors de son déploiement à l’export.

WONDERSKIN se caractérise pas la simple juxtaposition de deux termes anglais :

- WONDER qui signifie merveille, miracle
- Et SKIN, que l’on ne présente pas, s’agissant là d’un mot basique compris de tous.

L’ensemble s'interprète comme la promesse d’une peau fabuleuse, ce qui signe par là même deux motifs d’arrêts de mort juridique :

- description d’un effet attendu (espéré), et donc d’une qualité du produit couvert
- simple formule commerciale laudatrice non distinctive, et donc non protégeable.

C’est à ce constat qu’ont abouti les offices en Inde*, Israël*, Russie*, Singapour, et en Union européenne*

En revanche, dans la lignée de leur cousin américain, l’anglais et l’australien ont émis une déclaration d’octroi de cette marque.

On retiendra

  • que les offices de langue anglo-saxonne sont paradoxalement plus cléments alors même que la combinaison est encore plus signifiante chez eux. Ils ont cependant adopté une législation moins sévère que nombre de leurs voisins.

Cas pratique de la marque BYE BYE LINES

Cette marque est l’exemple typique illustrant le délicat tracé de la frontière entre le suggestif (enregistrable) et le descriptif (irrecevable).

Sachant que LINE est l’un des synonymes (visuellement très parlant) du mot français RIDE, sa combinaison avec l’interjection BYE BYE, permet sans trop d’effort de concevoir que l’ensemble promet l’éradication des marques du temps. 

Une telle construction sémantique s’appréhende-t-elle 

- comme un subtil message à codage certes simple mais indirect (au revoir, bien le bonsoir, adieu, plis disgracieux, sillons et pattes d’oie) permettant son enregistrement à titre de marque ?
- ou bien au contraire est-il d’une trop grande évidence (suppression/réduction des marques cutanées) amenant à estimer qu’il n’a pas sa place dans la liste des éléments protégeables ?

Ici aussi, intervient la variable géographique, car la réponse à cette question va dépendre des législations, plus ou moins sévères, et de leur mode d’application au jour du dépôt.

La France accepta cette marque à l’enregistrement en France en juillet 2019, adoptant donc la thèse de la distinctivité de la séquence.

Mais son titulaire avait bien conscience du fait qu’une telle victoire n’était en rien acquise hors de l’hexagone, et notamment vis-à-vis de l’austère office européen.

Il faut dire qu’il avait tenté quelques années plus tôt BYE BYE REDNESS, et s’y était cassé les dents.

Fort de cette expérience malheureuse, il renonça à désigner d’un bloc l’UE, pour cibler nommément chaque pays l’intéressant.

Or sur cette question de la définition d’une marque, l’unification de l’Europe n’est pas faite, puisque deux clans s’opposent :

- ceux qui comme la France ont estimé tout à fait valable la marque en question (Benelux, Espagne, Italie, Finlande, République Tchèque et Suède)
- ceux qui au contraire, l’ont considéré non protégeable (Allemagne, Autriche, Danemark*, Pologne*, Royaume-Uni). 

On retiendra

  • que si la marque que l’on souhaite (malgré tout) déposer est « border line » amenant à estimer que la radicalité assez régulière de l’EUIPO (office UE) ne lui permettra pas d’être acceptée d’un seul bloc, la voie de la désignation nationale, pays par pays, peut permettre l’obtention de victoires locales.

Parier sur une marque très (trop) signifiante est, on le voit, immédiatement risqué au stade de la procédure de recherche d’un droit privatif.

Obtenir que ce type de signe soit enregistré relève donc déjà du plan de bataille.

Cependant il faut également savoir que même si vous décrochez le fameux sésame que représente le certificat d’enregistrement, la victoire n’est en rien acquise définitivement.

En effet, ce qu’un office a accepté un jour, lui-même ou un tribunal, peut le reprendre quelques années plus tard.

Cas pratique de la marque HYDRA FRAICHEUR 

(CA Paris Pôle 5 – Chambre 2 – Arrêt du 5/03/2021 – l’Oréal / Guinot)

Acquise par Guinot auprès de Beauté Créateurs, société du groupe L'Oréal, suivant contrat de cession du 31 octobre 2001, la marque française HYDRA FRAICHEUR, déposée en 1993, est au cœur d’un différend….glaçant.

Nous n’exposerons pas les (multiples) griefs de part et d’autre, entre ces acteurs de la beauté des êtres, mais nous nous concentrerons sur le sort de la marque précitée, enregistrée sans sourciller par l’INPI, et dont la validité fut remise en cause plus de 15 ans après.

Et le constat à cet égard est sans appel, si l’on peut dire, à la lecture des termes employés par la Cour du même nom :

La marque HYDRA-FRAICHEUR est composée en premier lieu du terme HYDRA, mot d'origine grecque signifiant 'eau', préfixe du mot 'hydrater' bien connu du consommateur concerné qui recherche les qualités hydratantes des produits visés, et en second lieu du terme FRAICHEUR, nom qualificatif commun de la langue française qui signifie la propriété de donner une sensation de léger froid associé à la nature et à un sentiment agréable

Le public pertinent ne percevra l'association des termes HYDRA et FRAICHEUR que comme indiquant une caractéristique du produit, à savoir sa capacité à hydrater la peau en procurant une sensation agréable de fraîcheur, s'agissant de l'ensemble des produits visés par la marque « produits de beauté, de soin et nettoyants pour la peau et les cheveux, cosmétiques, produits de maquillage, parfumerie, huiles essentielles ». 

Ainsi l'association des termes HYDRA et FRAICHEUR ne crée pas un ensemble conférant une quelconque distinctivité au signe en cause et la cour fera droit à la demande d'annulation de la marque HYDRA-FRAICHEUR pour les produits précités.

Le raisonnement n’a rien de surprenant dès lors qu’il est incontestable sur le plan de la sémantique.

Il n’en demeure pas moins un brin gênant (et c’est un euphémisme) pour le propriétaire, qui d’un trait de plume voit s’évaporer un actif qu’il a acheté, sur lequel il a capitalisé, communiqué, investi, et à qui l’on assène, qu’en fait il ne vaut rien.

Il va sans dire qu’il aurait été oh combien préférable, d’appliquer le contrôle strict requis par les textes au stade du dépôt, et non de laisser passer ce signe comportant en lui-même une capacité d’autodestruction, non forcément lisible par tous les acteurs économiques.

On retiendra

  • que le choix de l’évidence sur le plan des marques peut couter cher,
  • que la volonté d’une trop grande signifiance, commercialement compréhensible, est très souvent juridico incompatible.

Alors que faire ?

Les mots d’ordre à suivre sont créativité, inventivité, subtilité, ellipses, jeux de mots, pas de côté, écart avec la réalité.

Facile à écrire, moins à réaliser, indéniablement.

Mais l’on trouve des exemples intéressants d’acceptations récentes en UE des marques cosmétiques suivantes :

AGE-BYE Nous avons vu que dire adieu à ses rides est trop immédiat, et donc source de rejet. Mais quand l’au revoir est destiné à l’âge lui-même, et donc de manière elliptique à ces conséquences qui ne sont pas nommées, là nous disposons d’une combinaison distinctive. 
TIME-CARE Autre manière de dire la même chose, mais en restant encore suffisamment allusif pour répondre aux critères légaux. Nous prenons soin du temps qui passe sur vous, est un message clair, mais indirect, permettant son acceptation.
SKINFORMANCE SKIN PERFORMANCE aurait été rejeté car immédiat (produits performants pour la peau). Là, la technique du mot-valise qui permet de faire passer le même message car le cerveau comble la syllabe manquante, aboutit donc au même résultat commercial mais avec un signe enregistrable. 
SKINWISH Très jolie marque qui reporte son contenu sémantique sur chaque lecteur. On comprend qu’il y a une promesse de réponse à nos souhaits mais comme ceux-ci sont indéfinis, la combinaison est juridiquement valable.
marques figurative_care La forme nominale CARE aurait été rejetée. Là, cette présentation simple mais efficace, donne un enregistrement épuré, sur le mot souhaité. A noter que d’autres pourront bien sûr retenir CARE dans d’autres configurations visuelles.

 

Un doute, des questions, un petit vertige au moment de retenir ce qui va être le porte-drapeau de vos produits ? N’hésitez pas à contacter l’équipe Plasseraud IP Marques & Modèles !

IMY


*rejet pour le moment provisoire ou en délai d’appel

Marque WONDERSKIN US n° 5282153 - WO n° 1551054 - WO n° 1546430 - WO n° 1538425
Marque BYE BYE LINES FR n°4533645 et  WO n° 1492398
Marque HYDRA FRAICHEUR FR n° 93470378
CA Paris Pôle 5 – Chambre 2 – Arrêt du 5/03/2021 – l’Oréal / Guinot
Age-bye UE 18233898 - Age-bye UE 18233898 - SKINWISH UE 18285025 - SKINPROUD UE 18273679 – CARE UE 18348186 - ABCARE UE 18310202 - TIME-CARE UE 18265317
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