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Vers un durcissement des conditions de protection des marques tridimensionnelles ?
La législation française et européenne autorise l’enregistrement à titre de marque de la forme d’un produit ou de son conditionnement.
La marque tridimensionnelle est particulièrement avantageuse, dans la mesure où elle permet d’acquérir un droit renouvelable indéfiniment sur la forme d’un produit.
Il s’agit d’un outil qui peut s’avérer utile lorsque la protection par dessin et modèle n’est pas envisageable, notamment quand la forme ou le conditionnement du produit a déjà été divulgué(e).
Par ailleurs, l’étendue de la protection d’une marque tridimensionnelle est potentiellement plus large que celle d’un dessin ou modèle, dans la mesure où la notion de risque de confusion s’apprécie plus largement que celle d’impression globale proche.
La marque tridimensionnelle est également plus facile à mettre en œuvre que le droit d’auteur ou la concurrence déloyale.
Toutefois, obtenir l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle n’est pas toujours chose aisée, dans la mesure où la forme du produit en cause doit répondre à plusieurs impératifs.
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Ne pas être constituée exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle (ces critères sont spécifiques aux marques tridimensionnelles);
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Etre distinctive, c’est-à-dire être en mesure de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise.
- Prise en considération de la fonction technique
Il n’est pas possible de procéder à l’enregistrement à titre de marque d’une forme dont les caractéristiques sont attribuables uniquement à une fonction technique, quand bien même ce résultat technique pourrait être atteint par d’autres formes (CJUE, affaire C-299/99 du 18 juin 2002 Philipps / Remington).
Comme précisé ci-dessus, il s’agit d’une contrainte spécifique aux marques tridimensionnelles, compte tenu de la nature peu conventionnelle de ce type de protection.
Ces dispositions visent à empêcher que le droit des marques devienne un moyen détourné d’obtenir un monopole renouvelable indéfiniment sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit.
Le célèbre jeu « Rubik’s Cube » en a récemment fait les frais dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 10 novembre 2016 (affaire C-30/15) concernant la marque tridimensionnelle suivante :
Dans cette décision, la Cour rappelle classiquement que la marque ne doit pas remplir une fonction technique. Toutefois, la CJUE va jusqu’à considérer que l’analyse des caractéristiques de forme doit également prendre en compte « la fonction technique du produit concret concerné ». En l’espèce, il a donc été jugé que la fonction de rotation des cubes doit être prise en considération dans l’appréciation du caractère fonctionnel de la marque tridimensionnelle, quand bien même ce mécanisme interne serait invisible sur la représentation graphique de la marque telle que déposée.
La jurisprudence européenne semble donc durcir encore un peu plus sa position face aux marques tridimensionnelles, puisque la fonction technique d’une forme s’apprécie désormais au regard de la marque telle que déposée, mais également au regard du produit concret que la marque vise à protéger.
Bien que cet arrêt soit discutable, il démontre bien la difficulté rencontrée actuellement par les demandeurs de marques tridimensionnelle, d’autant plus qu’il n’est pas possible de surmonter ce type d’objection en invoquant un caractère distinctif acquis par l’usage.
2. Caractère distinctif de la marque tridimensionnelle
La jurisprudence reconnaît en général que la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cadre d’une marque tridimensionnelle, dans la mesure où les consommateurs « n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel » (CJUE, 25 octobre 2007, affaire C-236/06 P).
Pour pouvoir être enregistrée à titre de marque, il faut que la forme diverge de la norme ou des habitudes du secteur. Seules les formes présentant de réelles particularités esthétiques semblent donc susceptibles d’être enregistrées à titre de marque tridimensionnelle.
Il est donc parfois difficile pour les industriels de démontrer que la forme du produit dont l’enregistrement est demandé est suffisamment distinctive pour permettre au consommateur de distinguer ces produits de ceux d’une autre entreprise.
Deux solutions semblent envisageables pour tenter de surmonter un défaut de caractère distinctif :
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Démontrer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage ;
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Ajouter un élément verbal ou un élément graphique à la forme concernée.
Néanmoins, ces solutions ne sont pas sans présenter de difficultés.
> Acquisition du caractère distinctif par l’usage
Il est possible d’invoquer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque. Cela passe notamment par des sondages et des enquêtes d’opinion, ou tout autre élément permettent de prouver que le consommateur moyen associe la forme du produit à son origine commerciale.
Néanmoins, cette preuve peut s’avérer particulièrement délicate en présence d’une demande d’enregistrement de l’Union Européenne, compte tenu de son caractère unitaire à travers l’Union. En outre, en raison du caractère universel des marques tridimensionnelles, le caractère plus ou moins distinctif ne varie pas selon les territoires. Il convient donc de prouver que le caractère distinctif a été acquis par l’usage sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne.
Le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) semble mettre le seuil particulièrement haut dans un arrêt récent concernant la marque tridimensionnelle portant sur la célèbre barre chocolatée Kit-Kat (affaire T-112/13 du 15 décembre 2016, Mondelez UK Holdings & Services Ltd contre EUIPO / Société des produits Nestlé SA) :
Bien que rappelant qu’il « serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit apportée pour chaque Etat membre pris individuellement », le TUE considère que le fait de rapporter la preuve de l’acquisition du caractère distinctif dans cinq des Etats-membres représentant à eux seuls 90% de la population de l’Union Européenne n’est pas suffisant, en raison notamment de la nature des produits de grande consommation.
En effet, le Tribunal rappelle que « le caractère distinctif acquis par l’usage (…) doit être démontré dans l’ensemble du territoire [de l’Union] et non seulement pour une partie substantielle ou la majorité de celui-ci (…). Dans l’hypothèse où les éléments de preuve présentés ne couvriraient pas une partie de l’Union, même non substantielle ou ne consistant qu’en un seul Etat membre, il ne saurait être conclu à l’acquisition du caractère distinctif par l’usage ».
Le Tribunal ajoute également que « l’absence de reconnaissance d’un signe comme indication de l’origine commerciale dans une partie du territoire de l’Union ne saurait être compensée par un niveau plus élevé de connaissance dans une autre partie de l’Union ».
Il convient donc désormais démontrer la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne et de ne plus se concentrer sur certains Etats clés.
A noter toutefois qu’un recours a été formé devant la CJUE à l’encontre de cette décision.
> Ajout d’un élément verbal ou d’un élément graphique
Une autre solution souvent privilégiée par les entrepreneurs consiste à ajouter un élément verbal ou un élément graphique distinctif sur la forme du produit afin d’en surmonter le caractère faiblement distinctif et en obtenir plus facilement l’enregistrement.
Le principal inconvénient de cette solution est qu’elle réduit la portée de la protection de la marque tridimensionnelle.
En effet, l’élément verbal ou graphique ajouté pour permettre l’enregistrement de la forme risque d’être considéré comme dominant par les Offices et/ou les Tribunaux.
Dès lors, il peut s’avérer difficile d’attaquer en contrefaçon un tiers qui reprendrait une forme de produit similaire sans en reprendre l’élément graphique ou verbal.
La 4ème Chambre de recours de l’EUIPO a par exemple considéré qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque antérieure et la demande d’enregistrement de marque tridimensionnelle
Il a notamment été jugé que les éléments verbaux de chacune des étiquettes suffisaient à distinguer les deux marques, dans la mesure où la forme rectangulaire des bouteilles n’était pas en soi distinctive pour désigner de la liqueur (décision R 108/2009-4 du 26 mars 2010, Illva Sarrono SPA contre Beveland SPA).
Il convient donc d’être particulièrement vigilant lors du dépôt d’une marque tridimensionnelle faiblement distinctive, de façon à éviter d’en réduire trop fortement la portée de la protection tout en lui assurant le caractère distinctif minimum requis.
A noter que cette question fera prochainement l’objet d’une étude détaillée dans le cadre du programme de convergence mené par l’EUIPO sur les pratiques intra-communautaires, qui vise à analyser et rapprocher les pratiques de différents Offices nationaux sur cette question. Nous ne manquerons pas de vous informer des résultats de cette étude.
En conclusion, la protection d’une forme par le biais d’une marque tridimensionnelle n’est pas impossible, mais elle peut s’avérer difficile.
Dans la mesure où les protections par marque tridimensionnelle ou par dessin ou modèle sont complémentaires, il convient de mettre en place une stratégie combinant ces deux possibilités en choisissant la protection la mieux adaptée à chaque cas.
Nous sommes bien entendu à votre disposition pour étudier avec vous les différentes stratégies envisageables pour protéger la forme de vos produits ou emballages.