Articles
Partager les brevets pour accélérer les technologies vertes ?
Un défi planétaire qui pousse au partage
Les enjeux environnementaux, notamment de réchauffement climatique, touchent les sphères sociétales et économiques. À ce titre la propriété intellectuelle a un rôle à jouer. Comment favoriser le partage de connaissances afin d’accélérer le déploiement de solutions permettant de combattre le réchauffement climatique ?
Une prise de conscience initiale des acteurs privés…
Les premières initiatives sont venues du secteur privé par la mise à disposition de portfolios de brevets via le « Pledge », ou gage. L’entreprise faisant le Pledge s’engage publiquement à ne pas invoquer son brevet et laisser le public utiliser sa technologie (dans les limites qu’elle définit). Dans un Patent Pledge, il n’y a donc pas de transfert de droit, le titulaire du brevet reste pleinement propriétaire. En contrepartie du bénéfice de l’utilisation des technologies brevetées, l’utilisateur du Pledge doit respecter certaines règles de bonne conduite comme par exemple ne pas contester le brevet en question ou créer de confusion.
Un exemple de Pledge est l’Eco-Patent Common née en 2008 qui permettait jusqu’ 2016 aux industriels de mettre à disposition gratuitement certains de leurs brevets verts. Le projet impulsé par IBM a compté 48 brevets couvrant 94 inventions « vertes » et proposait une plateforme de mise en commun des brevets dont la technologie était bénéfique pour l’environnement. Les technologies vertes concernées avaient par exemple trait à l’économie d’énergie, la prévention de la pollution, le recyclage ou la conservation de l’eau. L’idée sous-jacente de Eco-Patent Common était que les entreprises avaient dans leurs portfolios des technologies brevetées vertes qu’ils n’exploitaient pas alors qu’elles pourraient être utiles à d’autres. En retour de cette mise à disposition gratuite d’invention dormantes, les entreprises bonifiaient leur image auprès du public. La non-poursuite de ce projet est explicable par différents facteurs : dons sur la base du volontariat, manque de retombées médiatiques en contrepartie du don, difficulté de suivre les technologies données. Ceci étant, le fait que le projet ait ultimement échoué ne remet pas en question l’intérêt de partager les technologies vertes.
Ainsi, le Low Carbon Patent Pledge lancé le "Jour de la Terre", le 22 avril 2021 par Hewlett Packard Entreprise, Microsoft et Facebook contient à ce jour 544 brevets et 10 organisations réparties sur 13 pays. Il mise sur l’innovation collaborative pour résoudre le problème du changement climatique. La liste des brevets mis à disposition du public est consultable en ligne. Il n’y a pas besoin de s’enregistrer.
Le Patent Pledge peut être aussi individuel, comme le « Patent Pledge » de Toyota en 2019 donnant un accès gratuit à ses brevets de véhicules hybrides jusqu'en 2030.
…relayée par les institutionnels
Le secteur public s’est lui aussi emparé de la question du partage des brevets verts. Une initiative non gouvernementale, WIPO Green, met en relation des détenteurs de titres avec des besoins locaux de technologie verte. Lancée en 2013 et toujours active, WIPO Green n’a pas vocation à donner un accès gratuit, mais à connecter des acteurs géographiquement distants et de tailles diverses à travers une place de marché de brevets. Contrairement à un Patent Pledge, une traçabilité des acteurs est opérée. De plus, l'OMPI qui chapeaute WIPO Green, ne participe pas aux transactions facilitées par la place de marché.
Le but de WIPO Green est d’aider à lutter contre le changement climatique grâce au transfert de technologies vertes. WIPO Green comprend deux axes principaux : une base de données en ligne, et des activités régionales ciblées sur des sujets prédéfinis. WIPO Green offre de plus par le biais de ses partenaires une série de services de financement du développement, de déploiement et diffusion des technologies vertes.
Des entreprises peuvent mettre en ligne des portefeuilles de brevets verts et des acteurs locaux peuvent chercher dans cette base de données des solutions applicables aux problèmes qu’ils rencontrent. Par exemple une coopérative argentine pourrait rechercher une technologie de traitement des eaux usées pour solutionner un problème local d’eau souillé, ce qu’une entreprise japonaise ayant déjà travaillé sur le sujet pourrait proposer.
Les technologies peuvent être à tous les stades de développement : du prototype au produit commercialisable, et toute forme de collaboration est envisageable. Chaque acteur peut définir la modalité de collaboration, comme un codéveloppement ou une licence de sa technologie.
Les technologies que l’on trouve sur WIPO Green, sont toutes basées sur la protection de l’environnement telle que définie par le Sommet « planète Terre » de Rio de 1992. Les technologies vertes sont celles qui « protègent l'environnement, sont moins polluantes, utilisent toutes les ressources de manière plus durable, recyclent davantage leurs déchets et produits et traitent les déchets résiduels de manière plus acceptable que les technologies auxquelles elles se substituaient ».
Tous les acteurs économiques peuvent participer à WIPO Green : des agences gouvernementales, des groupes industriels, des entreprises, des universités et des instituts de recherche.
La base de données de brevets est accessible après s'être enregistré. L’utilisateur peut alors télécharger un besoin ou une solution à un problème environnemental ou de changement climatique. Un algorithme d’intelligence artificielle permet de rapprocher la demande de l’offre parmi celles se trouvant sur la base de données. La base de données comprenait en 2021 117 000 technologies que les utilisateurs pouvaient explorer et adopter.
WIPO Green comporte aussi un volet projets appelé « Accélération de Projets » qui se concentre sur une zone géographique ou un domaine technologique particulier, le but restant celui du transfert de technologies vertes. Parmi ces projets on retrouve une thématique sur l’agriculture intelligente en Amérique du Sud, le traitement et la valorisation des effluents d'huilerie de palme en Indonésie, ou la réduction des émissions de carbone dans les villes chinoises.
Le brevet, instrument vertueux quoique certains puissent penser
Le brevet est un outil sociétal en ce qu’il encourage l’innovation en contrepartie du monopole donné. Il est aussi un outil sociétal de par la publication des brevets qui permet de diffuser l’information à tous. Cette mise en accessibilité des savoirs permet des innovations incrémentales en bâtissant à partir de choses connues. Les mises à disposition gratuites ou à faible cout de brevets verts sont une proposition pour faciliter le développement des innovations dans ce domaine, en plus d’accélérer la mise en œuvre concrète des technologies que ces brevets contiennent. Ces initiatives publiques ou privées démontrent le besoin pressant de technologies combattant le réchauffement climatique et la prise de conscience fort heureusement corrélative, du bénéficie que nous tous, retirons de telles initiatives.