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L'ouverture de protection aux marques non traditionnelles : le jour d'après ?
L'ouverture de protection aux marques non traditionnelles : le jour d'après ?
La punchline scandée par un speaker avant l’entame d’une compétition sportive, ou la bande annonce de la dernière saison de The Walking Dead© déposées à titre de marque ?
Pas impossible selon certains, depuis la récente entrée en vigueur du « Paquet Marques », qui amorce une refonte des législations européenne et française, et permettrait l’ouverture de la protection à titre de marques aux signes non traditionnels.
Qu’en est-il réellement ?
- Le nouveau texte législatif ouvre-t-il une brèche aux marques non traditionnelles ?
Nous y avions déjà consacré de précédents articles, la réforme du « Paquet Marques » modifie substantiellement les législations européennes[1] et françaises[2] en matière de droit des Marques.
Parmi les évolutions notables induites par cette réforme, on trouve la suppression de l’exigence d’une représentation graphique de la marque.
Cela signifie que désormais, le déposant n’est plus obligé de représenter sa marque visuellement pour en obtenir protection. Il peut la représenter sous « n’importe quelle forme appropriée »[3] , à condition :
- que la technologie utilisée pour montrer le signe soit disponible et connue de tous, pour permettre un format lisible par les autorités compétentes et par les tiers. Il y va là de la sécurité juridique.
- que le mode de représentation utilisé permette de déterminer précisément et clairement l'objet bénéficiant de la protection. [4]
La marque pourra donc être déposée, théoriquement, sous n’importe quelle forme, pourvue qu’elle soit accessible et lisible par tous.
Cette nouveauté fait le buzz parmi les spécialistes de la PI et les déposants, et les hypothèses vont bon train : serait-ce l’ouverture du système de protection des marques à des signes dits « non traditionnels » ? Seraient alors enregistrables les sons, les mouvements, les séquences multimédia, les couleurs, les odeurs, les hologrammes, voire même les textures ?
- Un changement limité en pratique
Pour notre part, nous ne sommes pas certains que cette évolution législative révolutionne la pratique des Tribunaux et administrations en matière d’examen.
En effet, l’EUIPO acceptait déjà sous certaines conditions l’enregistrement de certains types de marques dites non traditionnelles.
Ainsi, s’agissant des marques de mouvements, un certain nombre d’entreprises ont pu obtenir l’enregistrement de ce type de marques en utilisant comme représentation graphique une succession de représentations accompagnée d’un descriptif.
La société SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB a par exemple obtenu l’enregistrement, à la suite d’une contestation devant la Chambre de Recours de la marque suivante[5] :
Plus récemment, une décision de la Division d’examen de l’EUIPO rejetant une marque de mouvement déposée par la société AMAZON TECHNOLOGIES INC a été annulée par la Chambre de Recours[6].
Il s’agissait de la marque suivante :
La Chambre des Recours a considéré qu’il s’agissait bien d’une marque de mouvement, en relevant que le consommateur de référence, raisonnablement observateur, pouvait percevoir que la succession de cercles formant ce signe représente une progression de couleur bleue, ce qui était revendiqué dans la description de la marque.
La suppression de l’exigence de représentation graphique ne constitue donc pas une révolution, mais simplement la consécration législative d’un principe jurisprudentiel européen acquis pour certains types de marques.
Par ailleurs, les conditions de fond et les principes jurisprudentiels cardinaux dégagés par la CJUE[7] en matière de validité des marques continueront à s’appliquer. En outre, il est toujours vrai que pour pouvoir être enregistrée, la marque :
- Devra être distinctive, aussi bien au regard des produits et services désignés, qu’intrinsèquement : elle devra satisfaire à la fonction essentielle de la marque, constituer une garantie d’origine des produits et services désignés. Ceci barre sans doute la route, par exemple, à l’enregistrement d’une marque qui serait composée exclusivement de deux notes de musique, trop simpliste pour constituer une garantie d’origine.
- Ne pourra pas être constituée par la forme (ou par une autre caractéristique) imposée par la nature même du produit
- Devra être représentée de manière claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective
Il convient de noter que ces critères d’appréciation sont appliqués strictement par l’EUIPO et les instances de l’Union Européenne, ainsi qu’en témoigne l’arrêt du TUE du 30 novembre 2017[1] qui a confirmé le rejet par l’EUIPO de marques déposées par la société RED BULL GmbH, constituées par des combinaisons de couleurs[9].
Ces marques portaient sur la combinaison de couleurs suivante :
- Quelles incidences pratiques pour vous, déposants ?
Ce changement législatif s’entend donc davantage d’un assouplissement des conditions techniques de dépôt, que d’un blanc-seing en faveur des marques nouvelle génération.
Concrètement, vous avez maintenant la possibilité de déposer des marques comportant des mouvements sur la base d’un fichier vidéo, sans être contraint de déposer comme un signe une succession de vignettes, même si cette possibilité reste ouverte.
Vous pouvez également déposer des marques sonores, par de simples fichiers audio qui ne nécessitent plus la lourdeur de la réalisation d’un sonogramme.
Les techniques actuelles acceptées par l’Office européen sont cependant limitées à ces marques sonores, marques de mouvement ainsi qu’aux marques multimédia (comportant à la fois du son et de l’image).
A ce jour, l’état de la technique ne permet pas de déposer notamment les marques olfactives ou de textures. Tout dépendra à cet égard des évolutions technologiques permettant de représenter ces signes (autrement que graphiquement).
Forts de cette adaptation législative, certains déposants se sont déjà lancés, en procédant à des dépôts « nouvelle génération » auprès de l’EUIPO.
Les dépôts qui étaient les plus attendus sont ceux constitués de logos animés, associés à des éléments verbaux et/ou des sons.
Ainsi, la société CASTROL LIMITED a déposé à titre de marque de mouvement, un logo animé, associé au slogan « It’s more than just oil, its liquid engineering »
→ Consultez le logo animé.
De même, la société TeliaCompany AB a déposé une marque de mouvement associant un logo animé aux éléments verbaux « TELIA COMPANY » :
→ Consultez le logo animé.
La société Fahnen-Gärtner a déposé en tant que marque un personnage animé, saluant un public invisible sous des applaudissements, et précédant l’apparition du logo de cette société :
→ Consultez la vidéo.
Des marques purement sonores (non musicales) ont également été déposées, sans recours au sonogramme.
Ainsi, le célèbre club de football du FC BARCELONE a déposé à titre de marque un fichier sonore, constitué d’une voix d’homme prononçant le mot « BARÇA » :
→ Consultez le fichier sonore.
La société BRITISH TELECOMMUNICATIONS a déposé un fichier sonore comportant des notes de musique constituant vraisemblablement un jingle :
→ Consultez le fichier sonore.
L’examen de ces marques a déjà été effectué par l’EUIPO et elles seront prochainement enregistrées, si aucune opposition n’est formée à leur encontre.
D’autres déposants ont été plus novateurs dans leur approche des nouveaux types de marques et ont déposé des signes particulièrement inattendus. L’examen de ces nouvelles demandes est toujours en cours, l’EUIPO s’interrogeant toujours sur le fait de savoir si elles répondent véritablement à la fonction essentielle de la marque, constituer une garantie d’origine.
La société BANG &OLUFSEN a ainsi déposé quatre marques de mouvement, constitué de fichiers vidéo portant sur des mains filmées en gros plan exécutant des mouvements particuliers :
Ces marques ont vraisemblablement été déposées pour commander des télévisions par un système de reconnaissance de mouvements.
La palme d’or de ces marques multimédias iconoclastes peut être décernée conjointement à deux dépôts, qui sont toujours en phase d’examen,
Le premier dépôt est une capture vidéo d’un jeu de tir, montrant ce que les spécialistes appellent un « headshot » : consultez la vidéo.
Le second dépôt a été effectué au nom de la société REDBULL, et est constitué d’un film vidéo montrant un avion d’acrobatie aérienne slalomant entre des pylônes : consultez la vidéo.
Nous doutons cependant fortement du caractère distinctif de ces deux marques, notamment au regard de leur longueur et de leur caractère très évocateur d’une partie des produits et services désignés (jeux vidéo et activités sportives).
***
Les exemples cités ne concernent que des marques de l’Union Européenne, l’exigence de représentation graphique existant toujours en France, dans l’attente de la transposition de la Directive en 2019.
La généralisation de la possibilité de déposer ces nouveaux types de marques est trop récente pour que nous ayons suffisamment de recul sur les pratiques de l’EUIPO, ce qui ne nous permet pas, pour l’instant, d’établir des critères clairs sur la distinctivité des marques de mouvement, sonores ou multimédia.
De la même façon, il est difficile de déterminer avec précision quelles seront les conditions de l’opposabilité de ces marques, que ce soit dans le cadre de procédures administratives ou contentieuses, ainsi que les modalités de preuves quant à leur usage, lorsqu’elles feront l’objet d’actions en déchéance ou de demandes de preuves d’usage.
La suite au prochain épisode, lorsque les premières marques non traditionnelles auront été enregistrées et mise en œuvres dans le cadre de litiges judiciaires.
Face à ce tournant juridique et technologique, nous attendons avec impatience les innovations technologiques auxquelles auront recours les déposants pour procéder au dépôt de leurs marques, ainsi que les décisions qui statueront sur ces marques nouvelle génération.
N’hésitez pas à nous soumettre vos nouvelles idées, mais également à reconsidérer votre patrimoine marketing existant, au sein duquel se trouvent déjà peut-être des éléments susceptibles d’être protégés à titre de marques, comme par exemple des éléments sonores ou animés qui constituent la signature de votre entreprise (jingle, phrase parlée, onomatopée, interjection, mini-film, logo-type animé, hologramme 3D,,…).
Nos juristes sont à votre disposition pour répondre à toutes vos questions sur ces nouvelles dispositions et vous fournir avis et stratégie adaptés à votre projet.
[1] Par l’adoption du Règlement européen 2015/2424, entré en vigueur le 1er octobre 2017
[2] Par l’adoption de la Directive 2015/2436, que la France devra transposer avant le 14 janvier 2019.
[3] Considérant 13 de la Directive 2015/2436
[4] Article 4 du Règlement européen 2015/2424 ; article 3 et considérant 13 de la Directive 2015/2436
[5] Décision de la chambre de Recours n° R 443/2010-2 du 23 septembre 2010
[6] Décision de la chambre de Recours n° R 820/2017-2 du 27 octobre 2017
[7] Cour de Justice de l’Union européenne
[8] Tribunal de l’Union Européenne
[9] Arrêt du Tribunal du 30 novembre 2017 statuant sur les affaires jointes T-101/15 et T-102/15, qui a notamment relevé qu’« une représentation graphique de deux ou plusieurs couleurs désignées de manière abstraite et sans contour devait comporter un agencement systématique associant les couleurs concernées de manière prédéterminée et constante. La simple juxtaposition de deux ou plusieurs couleurs « sous toutes formes imaginables » ne présentent pas les caractères de précision et de constance exigés »